Voyages, ombres et lumières
Elle aimerait dans le futur organiser une exposition d’artistes amateurs seniors, sous le titre de : COLLE-ÂGES. Une demande de soutien a été soumise à la municipalité.
Elle espère découvrir encore d’autres chemins créatifs, comme ça été le cas dans le cadre de « Recits de vie ».
L’ombre
Rester à l’ombre. S’assombrir ? En espagnol, « asombrarse » veut dire s’étonner… les surprises donnent de la fraicheur. Le soleil, il y en a trop… Il est pour les pauvres. Les places à l’ombre sont plus chères dans la corrida…
Besoin d’un chapeau, d’un excellent chapeau. Pas lourd, qu’on sent à peine, qu’on oublie. C’est difficile de trouver un qui sied juste à notre tête. Comme le soulier pour Cendrillon. Je continue à le chercher, ce chapeau qui me protège…
Quand j’écris, parfois, l’orientation de la lumière fait de l’ombre sur mes mots, et je dois bouger la main pour savoir où ils sont passés…C’est difficile trouver les bons mots. A dire, à se dire. Je les cherche tous les jours, ils sont ma nourriture, parfumée aux tendresses non dites, aux soupirs…
Ah ! Les soupirs…je les aime tant ! Mais ils sont de plus en plus rares. Disent-ils trop de choses ?
Le Pays des Merveilles
Pilar raconte que lorsqu’elle est arrivée à Lausanne, elle a eu l’impression d’arriver au Pays des Merveilles dont elle rêvait dans son enfance.
Arrivée au Pays des Merveilles, je ne suis plus descendue sur terre…Les cygnes glissaient sur le miroir glacé du lac situé à 500 mètres d’altitude. Leur silhouette se confondait avec les nuages et leur blancheur s’évaporait dans les cimes enneigées tout autour.
Près du ciel, je n’allais plus redescendre : habiter dans des chaumières, des petites chambres sous les toits, et plus tard dans un deux pièces où je vois des marées des corbeaux avancer vers moi chaque soir. Où j’entends des couples de pigeons roucouler, je surprends des couples de lucioles danser au petit matin.
En bas, la ville a changé. Plus bruyante, plus sale, plus laide. Plus délabrée. Je l’aime de moins en moins. Je pense aux hôtes venus dans mes tanières : des oiseaux blessés, des loups solitaires, des aventurières perdues, des apprenties sorcières. Je n’ai plus envie de redescendre, ici, tout près du ciel. En bas, le Pays des Merveilles rétrécit à vu d’oeil. Les prédateurs déchirent les derniers territoires.
Le choix
Hommage au compagnon(suisse) décédé il y a 2 ans. Il vit désormais dans le cœur de Pilar.
La porte est ouverte…le déserteur est entré…Il revient du désert, de la ville délabrée, il a abandonné le luxe et la volupté. Il cherche le calme. Il me dit qu’il a perdu ses amis en chemin, avalés par les sables mouvants du temps. Il a pénétré dans le tombeau du Pharaon, et il a vu que la mort était vide. Il a peu à lui dire, mais elle comprend tout. Pendant son absence, elle a lu des milliers de livres sur les arnaques du progrès. Tout ce temps, elle avait laissé la porte ouverte, si jamais…
Le déserteur reconnait son hospitalité, à elle, l’étrangère. Pour la remercier, il lit tous les poèmes qu’elle a écrit, il écoute son récit de vie.
Et dans la pénombre, ils s’embrassent. Quoi ? Les mots s’embrassent, comme des étoiles dans le désert sans limites du monde délabré.
Ecrire
J’ai toujours voulu écrire…J’ai écrit des poèmes, des petits haïkus en français, mais je rêve d’un récit, et je me demande ce que je voudrais dire…Pour y voir plus clair, voici quelque pistes :
*la protagoniste c’est un Don Quichote féminine, avec ses délires, son manque de malice
*elle est très critique avec la société, les sauvages civilisés, leurs indifférences, leurs cruautés, leurs folies, leurs rituels, leurs routines, leurs ennuis,
*elle est très sensible à l’assassinat de la poésie, à la bêtise, l’ambition avide, l’ignorance, mais aussi à l’incandescence, la beauté éblouissante, les histoires d’amour, les mystères, l’inouï
*elle a de la peine pour le désespoir, la déchéance, le délabrement
*elle recherche la liberté, les aventures, les frontières irrégulières, être un déserteur, s’échapper ?
*parler aussi de la fidélité, la gratitude, le don, les refuges, les pièges, les oasis, les labyrinthes…
Le but serait de transformer le stylo en couteau. Pour couper les mots de propagande, hacher les clichés, émonder les phrases déjà cuites, et même (soupir) tuer la lassitude…
Voyages I-II-III
Mon dernier voyage : On avait loué une voiture en arrivant à Séville. La Sierra de Aracena se trouve à une centaine de Km, l’autoroute traverse les « dehesas », sorte de savanes espagnoles où sont élevés les « toros bravos ». Nous avions déjà loué une maison dans un petit hameau dans le parc naturel, qui curieusement a dans son sein tout un collier de petits villages blancs, dont les ruelles sont faits à la main avec des petits cailloux plats mis à la verticale, un à un. En arrivant dans le parc, nous étions accueillis par des chênes-lièges tordus qui semblaient danser tout nus, avec leurs troncs rouge foncés sans ses habits de liège. J’avais l’impression d’entrer dans un conte de fées, et très fière de ne m’être pas trompée dans mon choix, fait à plus de deux mille km de là. La région est très préservé, et j’étais enchantée de voir les hirondelles frôler nos têtes en nous promenant dans les ruelles silencieuses, comme si elle écrivaient des poèmes sur le murs blancs des maisons. Construites il y a bien longtemps, tous les villages semblaient être un seul corps de pierre, et seuls clients assis dans la terrasse du bar, je croyais entendre ces pierres me raconter leur histoire. Les tapas offertes sans demander étaient l’ancienne manière d’accueillir le voyageur qui vient de traverser le désert. La coupe de vin blanc, bien frais, brillait au soleil comme de l’or pur. Ce fut mon dernier voyage avec lui.
Mes premiers voyages : Chaque année, à l’arrivée des grandes vacances scolaires (3 mois entiers à l’époque!) nous partions en famille à plus de mille km de Barcelone vers le sud, dans la région de Murcie où habitaient mes grands parents. En arrivant, ma grande-mère, qui avait mis 14 enfants au monde, nous recevait avec ces mots : Vous partez quand ? Elle avait appris à lire à 70 ans, et me répétait inlassablement : étudie, ne te marie pas, étudie…Je lui été fidèle, à elle et à toutes les femmes prisonnières de sa condition. Bien qu’installés dans un chalet moderne, mon grand-père, inventeur inconnu de la cocotte minute, avait réussi à transformer l’endroit en une oeuvre d’art brut, à force de rafistoler le poulailler, les cages de lapin, et sa caverne l’Ali Baba : son atelier d’ancien forgeron. L’objet fétiche était son enclume qui l’avait accompagne dans son travail nomade par les villages pour donner forme aux balcons en fer forgé. J’adorais l’odeur de ferraille, le son des coups qu’il donnait avec son marteau et ses mains noueuses de travailleur. Il récupérait les clous tordus, les fers qu’il ramassait dans ses balades quotidiennes de chiffonnier avec sa charrette- Une ribambelle de gamins le suivons, brûles par le soleil. Parfois, des inconnus se joignaient à nous, comme cet enfant gitan qui portait ses souliers neufs à la main pour ne pas les user…Nous traversions des champs arides de melons et pastèques irrigués par un roue à aubes tournée par un âne, et les paysans nous offraient les fruits trop petits pour être vendus. Nous rentrions à la maison avec des mini melons, soulés de joie et de soleil. Mon grand-père avait les yeux bleues comme la mer intérieure qui était à l’époque une merveille de bio diversité (aujourd’hui en péril). Là j’ai vu des hippocampes, des poissons chats, des coquillages à ne plus savoir quoi en faire. Là j’ai appris à devenir poète.
Mon prochain voyage ? Je ne sais plus où aller…Parfois je reviens virtuellement dans le quartier de mon enfance à Barcelone. Devenu monstrueux et luxueux, je retrouve péniblement la maison où j’ai grandi, minuscule entourée des grands tours. Je regarde la façade et je vois le balcon de ma chambre. Je me demande qui est là à ma place, dans ces murs maintenant vides de ma vie. Je suis aussi tentée de retour au village surréaliste où j’ai vécu dans une cabane perdue dans la montagne, comme une sauvageonne, faisant du feu dans la cheminée, écoutant la tramontane furieuse frapper à la porte sans clé. J’étais vraiment inconsciente, mais c’est le plus belle été de ma vie.
C’est sûr, je ne reviendrai pas en Inde. Je ne ferai pas une croisière. Aller au chalet ne me dit plus rien. J’ai beaucoup aimé New York, mais le voyage est long…
Moi, qui étais partie pour faire le tour du monde, peut-être j’ai fini de faire le tour de ma tête…et le pèlerinage à pris fin. Quelle sens a pour moi polluer la planète pour échapper à l’ennui ? Aucun…
Peut-être parce depuis sa mort, j’ai pris goût à voyager avec lui dans le Néant. C’est différent, mais très intense. On apprend la paix, à pas lutter pour rien. A supporter la vanité, l’étalage des conquêtes et l’orgueil. A les laisser aller dans tous les sens pour attraper la merveille. Nous on l’a déjà eu. Et parfois sans bouger du tout. « Toujours là ? » me demandent les gens perdus de vue en me voyant…Oui, toujours là..où ? Au-delà de tout ce qui n’est pas bien.
Textes composés en atelier d’écriture animé par Françoise Bonny, association Nanaboco