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Marie-Aurore Bizimana, Rwanda, association UMUHUZA
Temps de lecture : 15 minutes

Entretien avec l’association UMUHUZA

Dans le cadre du Projet Traits d’union mis sur pied à l’occasion des cinquante ans du Bureau Lausannois des Immigrés (BLI), le groupe « Récits de vie » a entrepris de recueillir l’histoire de plusieurs associations des immigrés oeuvrant à Lausanne. Ces associations ont souvent contribué à favoriser une intégration réussie pour leurs membres.

Ici, le récit de l’association UMUHUZA. Dans un entretien avec Madame Perpétue Nshimirimana( P.N dans le texte), Madame Marie-Aurore Bizimana (M.A.B dans le texte) parle de tout l’impact positif qu’a eu cette association sur tous ses membres  

P.N: Quel est le nom de votre association ?

M.A.B : Notre association s’appelle UMUHUZA qui signifie en français « le Rassembleur ». On l’a appelé ainsi parce que justement elle se voulait de rassembler les membres de la communauté rwandaise exilés en Suisse, d’où le nom de UMUHUZA.

P.N: C’est une des anciennes associations africaines ici à Lausanne, pourquoi avez-vous pris l’initiative de la créer ?

M.A.B: En 1996, l’Abbé Boniface Bucyana, suisse d’origine rwandaise, organisa à Fribourg une première rencontre réunissant des hommes et des femmes rwandais arrivés en Suisse à la suite de la tragédie rwandaise d’avril 1994. A l’issue de cette réunion, il a été retenu que se retrouver régulièrement entre compatriotes permettrait un soutien moral mutuel. Aux rencontres qui ont suivi, seules les femmes étaient présentes. Désireuses de consolider ces moments de joie et de soutien entre compatriotes, de s’ouvrir aux autres communautés en faisant connaître en Suisse leur culture d’origine et en participant aux échanges interculturels, elles ont décidé de créer l’association des femmes rwandaises de Suisse, qui, par la suite a pris le nom d’UMUHUZA.

Lausanne a été choisi comme siège de l’association et lieu des rencontres de par sa situation géographique, et surtout parce que Lausanne est plus ou moins le centre pour les membres qui venaient des quatre coins de la Suisse romande, ce qui diminue le temps de déplacement pour ces derniers.

P.N: Quel était le but principal visé par cette association naissante ?

M.A.B: De faire réunir les Rwandais. Dans un premier temps, c’était vraiment ça. Par la suite les mamans se sont dit : « Nous sommes des femmes, on pourrait peut-être voir au-delà de la rencontre, des discussions, ce qui pourrait émerger, qu’est-ce qui pourrait être constructif pour différents membres de l’association. Elles ont pensé à mettre en place ce mouvement pour déjà, faire vivre la culture rwandaise, la faire connaître, la partager à la culture du pays d’accueil. Et puis aussi, faire vivre et faire connaître la culture rwandaise aux membres de la communauté. Les mamans qui allaient avoir des enfants, ces enfants qui allaient naître au sein de l’association, il ne fallait pas que ce maillon se brise. En effet, on a quitté le Rwanda, on arrive à l’étranger, c’était tout de même important de garder cette identité rwandaise. Cette association avait aussi ce but-là et l’a ainsi consolidé tout au long. 

P.N: L’association existe depuis quand ?

M.A.B: Elle existe depuis 1996. Nous fêtons nos 25 ans cette année.

P.N: Tout au long de ces vingt-cinq ans, quelles ont été vos activités principales ? Il faut beaucoup d’assiduité pour tenir une association sur une durée aussi longue !

M.A.B: Les fondatrices ont pensé à faire vivre justement cette transmission de culture et cette vie de la culture rwandaise par la danse. Ainsi danse traditionnelle rwandaise constitue la principale activité de l’association UMUHUZA. Pourquoi la danse ? Parce qu’à travers la danse on transmet la culture aux jeunes générations qui arrivent, on fait connaître aussi un aspect de la culture rwandaise à la communauté du pays dans lequel nous nous trouvons mais aussi aux autres communautés qui vivent sur ce territoire qui est la Suisse. La danse aussi parce que c’est une activité récréative, qui permet d’aller à la rencontre d’autres personnes, de se présenter à travers une activité qui va ressembler d’autres personnes qui viendront voir ces danses. De plus, la danse permet aussi de transmettre la langue, car les chants sont en kinyarwanda. En effet, à travers ces chants, nous continuons à alimenter puis à faire vivre la langue rwandaise, mais aussi à la transmettre aux générations qui arrivent. Ça, ça a été la principale activité. Ensuite on a aussi, toujours dans ce souci de maintenir la culture, de travailler aussi la langue KINYARWANDA, commencé à intégrer l’apprentissage de la langue rwandaise. C’est tout récent.

P.N: Une des fêtes organisées annuellement par l’association est l’UMUGANURA. Pourquoi ce choix et pas une autre fête ? Ça a quelque chose à voir avec les valeurs rwandaises ?

M.A.B: UMUGANURA est une fête qui est connue au Rwanda et qui concerne tous les Rwandais. C’est vraiment une fête culturelle, voire nationale. UMUGANURA est en fait, la fête de la récolte. Cette récolte arrive au mois d’août. C’était assez symbolique. Quelque part on a créé cette association pour créer de la matière et cette matière, c’est comme si on avait semé quelque chose, on l’a récoltée, on le présente et on fait une petite association symbolique avec UMUGANURA. Ceci étant, il était ainsi pertinent et évident qu’on fixe la fête ce jour-là d’UMUGANURA. Donc on a maintenu cette fête, en plus elle arrive au mois d’août, c’est l’été, ça tombait plutôt bien, les vacances…Ça mettait d’accord tout le monde. C’est vraiment une fête générale qui concerne tout le Rwanda dans son ensemble.

P.N: J’aimerais revenir sur les débuts de la création de cette association. Vous avez dit que ce sont les mamans qui ont commencé à penser à sa création. Je vous connais toute petite, je vois que vous êtes de la deuxième génération. Quelle a été l’évolution de l’association pour qu’il y ait ce passage entre l’ancienne génération et les jeunes ?

M.A.B: Tout le monde s’est senti rapidement concerné. C’était vraiment la liaison entre le Rwanda et le pays d’accueil, la Suisse. Les mamans avaient à cœur d’avoir un espace comme ça aussi pour transmettre aux enfants. Je pense, qu’en tant qu’enfants, ça nous a rapidement parlé, d’autant qu’on y rencontrait d’autres enfants. S’il n’y avait pas eu cette association, on n’aurait pas vraiment eu de lien avec le Rwanda dans son ensemble, ni mesurer l’importance de l’identité culturelle du fait de notre jeune âge. Elles ont donc eu une très bonne idée de faire intégrer la danse comme outil principal pour transmettre cette culture parce que la danse a un petit côté amusant et récréatif pour un enfant notamment. L’autre élément qui a permis de pérenniser notre association, réside aussi dans le fait que les mamans qui ont fondé Umuhuza avaient déjà des enfants, pour beaucoup. Elles ont amené les enfants pour que, entre nous, il y ait des connections, qu’on crée des synergies et même des liens d’amitié. Aussi, chaque tranche d’âge se sentait à sa place et en confort vu qu’elle y retrouvait ses paires. C’était vraiment le petit moment qu’on avait tous qui nous rassemblait. On avait vraiment du plaisir à être ensemble.

Ce qui a également permis le maintien de notre association, c’est que, mise à part la danse elle-même, UMUHUZA avait aussi à cœur de faire découvrir à ses membres les cultures d’ailleurs dont la culture suisse. Par exemple les mamans, ce qu’elles faisaient, une fois par année, voire deux fois, elles organisaient des sorties en Suisse. Ça pouvait être visiter le Musée Olympique ou bien aller à Lucerne visiter le Musée suisse des transports etc. Nous, les enfants, c’est vrai que ça continuait à nous attirer plus parce qu’il y avait des petites choses qui étaient intégrées à nos activités et nous faisaient continuer à « Kiffer » cet espace-là.

P.N: Pour vous, l’association a donc joué un grand rôle dans l’intégration des Rwandais en général dans le milieu d’accueil et les jeunes en particulier dans le milieu d’accueil. On peut dire que vous vous êtes servi de cette association-là pour créer des liens avec la Suisse ?

M.A.B: Oui, oui, exactement, créer des liens avec la Suisse. Comme on voulait présenter nos danses ici et là, lorsqu’il y avait des événements culturels, on allait présenter notre activité de danse. Cela permettait de créer des liens avec d’autres personnes d’ici et d’ailleurs. Ça a eu ça comme effets positifs, la création des liens avec la Suisse, en effet.

P.N: Quand on regarde les expériences d’autres associations, ce n’est pas souvent que les jeunes veulent mettre le pas dans celui des anciens pour poursuivre ce que ces derniers estiment bon de garder au niveau culturel, tout au moins. Apparemment chez les Rwandais, ça a été simple. Le relais s’est fait plutôt dans la douceur ! C’est dire que les jeunes Rwandais ont été sensibilisés très tôt à l’idée qu’il faut garder ce lien culturel avec le pays d’origine ?

M.A.B: Je pense que nous nous sommes senties toutes, concernées. Parce qu’en fait chaque génération, avait un rôle à jouer, était impliquée dans la vie-même de l’association. Les mamans avaient leur rôle, les jeunes avaient aussi leur rôle, les plus petits aussi le leur. Par exemple les mamans au début, en la fondant, étaient les garantes du maintien de l’association. Les plus jeunes ont été les danseuses. Nous avions donc un rôle très important dans l’association. Les danseuses étaient les jeunes, celles qui chantaient, entonnaient pour nous, ramenaient le matériel pour rythmer les chants, c’était les mamans. Quelque part si les mamans ne sont pas là, dans la danse ça va être compliqué. Si les danseuses ne sont pas là, ça va être compliqué. Chacun se sent concerné et quand nous sommes conviées à des événements culturels ou autres où nous devons aller nous représenter, là aussi, une fois de plus, chaque génération joue son rôle. Typiquement la Maison du Quartier Sous-Gare à Lausanne que nous côtoyons depuis déjà plusieurs années, quand elle fait ses fêtes habituelles, elle va proposer, par exemple, que nous préparions des plats typiquement rwandais. Là, nous partageons les tâches autant les plus âgés que les moins âgés. Et puis, souvent ces moments aussi sont agrémentés d’une petite présentation de danses. A ce moment-là, les plus jeunes vont danser. Vraiment chaque maillon est important, a besoin d’être présent pour faire tenir la chaîne. Ce sont des choses qui se font naturellement, les mamans ont passé le relais, si on veut, tout en étant encore présentes. Nous maintenant, on est en train de faire perdurer de la même manière qu’elles l’ont fait auparavant et c’est tout naturel. Par exemple moi aussi j’ai des enfants, des garçons. Ils ne sont pas dans l’association mais ils prennent part aux activités de l’association. Celles qui ont des filles, les filles font parties de l’association. Par exemple des jeunes nous en avons de cinq, six, sept ans…,  qui font parties du groupe de danse. Là nous avons un petit peu classifié en fonction des âges de façon à ce que chacun ait une part importante, un rôle important dans cette association, de façon que chacun soit acteur ou actrice de la vie de cette association.

P.N: Si je reviens aux fondements même de l’association, vous avez dit que ce sont les femmes qui l’ont mise sur pied. Pourquoi le choix des femmes ?  Qu’est-ce qui a fait que ça soit les femmes rwandaises qui se soient senties investies de cette mission ?

M.A.B: Je pense que quand ça a démarré, ce n’était pas du tout dans cette perspective de former un groupe genré. Au départ, c’est un prêtre qui avait initié la rencontre des Rwandais, tout Rwandais, hommes et femmes confondus. Au fur et à mesure de ces rencontres, je ne sais pas combien de rencontres il y a eu, c’est vrai qu’il n’y avait plutôt que des femmes. Je ne sais pas pourquoi c’est plutôt des femmes qui venaient. Et c’est comme ça que c’est né. Elles étaient régulièrement présentes et se sont dit : « On va créer notre mouvement. Comme nous ne sommes que des femmes, il n’y aura que des femmes ». Mais on n’a jamais été fermées aux hommes, bien au contraire. Par exemple lorsqu’on faisait nos fêtes annuelles, je me souviens qu’on faisait des appels  en disant que nous étions à la recherche de personnes pour renforcer l’équipe. Evidemment c’est génial s’il y a des hommes pour diversifier les danses qui, actuellement, ne sont que féminines. Les danses rwandaises d’hommes, c’est une autre forme de danse beaucoup plus vive forcément. Mais voilà, il n y a pas eu d’hommes mais on n’a jamais été fermées à ça, c’est faute de candidats. Mais ce n’est pas grave. Ce n’est pas parce qu’il n y a pas d’hommes qu’on ne va pas poursuivre nos projets. La preuve, c’est que la collaboration est tout à fait réelle. On a les hommes qui nous soutiennent en « back office » mais devant les feux des projecteurs, c’est plutôt les mamans qui sont visibles.

P.N: Ce n’est pas plus mal. Il y a eu une première génération de mamans qui ont passé le relais à leurs enfants et visiblement vous-mêmes vous allez passer le relais à vos propres enfants, c’est-à-dire une certaine continuité de l’association, mine de rien. Comment vous voyez l’évolution d’UMUHUZA ?

M.A.B: A quel niveau ? Entre 1996 et aujourd’hui, il y a déjà une évolution qu’on a déjà abordée. Au-delà de ça, je la vois continuer tel qu’on l’a toujours poursuivie. Qu’on ne perde pas cette ligne conductrice qu’on a toujours eu à savoir impliquer chaque personne qui est dans l’association de façon qu’elle se sente concernée, importante  au sein de cette association, de façon qu’elle puisse perdurer. Après, ce qu’on voit aussi comme toute évolution, il y a des changements qui vont être amenés à la lumière des changements qu’on observe au sein de la société. On essaie un petit peu de s’aligner. Les jeunes qui arrivent apportent aussi des choses nouvelles. On a un groupe qui est sain dans le sens qu’on est bienveillants les uns avec les autres, ça se ressent. On est dedans, on ne sent pas de contraintes.

P.N: Il n y a pas de rivalités, c’est finalement quelque chose que vous faites de façon apaisée.

M.A.B: Je dis souvent c’est la famille UMUHUZA. On est vraiment une famille, on a l’objectif qui tourne autour de l’association et on ne s’en tient qu’à ça. Tout ce qui est relatif à la vie privée, ça reste du domaine privé. Il y a peut-être des liens plus étroits entre certains membres, ce qui est tout à fait normal mais là on ne perd pas de vue l’essentiel de l’association. Je pense que chacun est au clair avec ça et c’est ce qui a permis de faire durer l’association. On sait qu’on a un objectif commun, on sait où on veut aller, vers la réalisation de cet objectif,  on avance comme ça quoi. Oui, ça tient. Quand on se rencontre, on parle essentiellement de tout ce qui tourne autour de l’association. Chacune se sent concernée, amène un peu ses points de vue, des propositions. Et puis, on est ouvert, ça a toujours fonctionné comme ça. On est ouvert aux propositions, aux doléances des unes et des autres. Et quand on échange, ça se fait d’une manière ouverte, que les choses soient faites d’une manière transparente, ça permet vraiment de garder un « truc » plutôt sain.

P.N : Vous vous retrouvez régulièrement pour les répétitions. La Maison de quartier Sous-Gare à Lausanne a mis à votre disposition une salle et ça se passe plutôt bien !

M.A.B: Tout à fait. On se voit une fois par mois, ce qui permet de maintenir les activités. On essaie aussi d’être à l’écoute des contraintes des unes et des autres dans le sens où, au départ, à la création, les rencontres étaient plus rapprochées, genre une fois toutes les deux semaines, samedi. A mesure que la vie professionnelle prenait plus de place dans nos vies, de manière générale, on s’est dit qu’on avait quand-même à coeur de maintenir cette association, et qu’on allait essayer de regarder avec les contraintes des unes et des autres comment on fait, conjuguer la vie familiale, la vie professionnelle, la vie privée, la vie associative. On a espacé les rencontres à une fois par mois. Si c’est moins contraignant, ça allait maintenir le côté agréable des rencontres. Quand une activité commence à présenter des contraintes, c’est là où on devient un petit peu réticent. Il faut y aller par plaisir. Cette notion de plaisir est assez importante. C’est ce qui explique que ça perdure. Une fois par mois, ça semble convenir à tout le monde, on s’y tient. On voudrait plus, la réalité fait que pour l’instant c’est un peu compliqué d’autant qu’on vient de différents endroits.

P.N: Le fait d’avoir cette salle à disposition, ça permet de maintenir des liens forts avec la ville de Lausanne !

M.A.B: La salle est effectivement à Lausanne, le siège même de l’association est basé aussi à Lausanne. On s’est rendu compte que géographiquement parlant, ça représentait un lieu central, d’une part. D’autre part c’est que Lausanne est très active dans les activités culturelles, de rencontres, ça semblait être un point stratégique, intéressant. On continue à prendre part à la vie de Lausanne du fait que nous y sommes, forcément nous participons directement ou indirectement à ce qui se passe sur Lausanne.

P.N: J’ai souvent été agréablement surprise de constater que des Rwandais, mais pas seulement, de Zurich, de Bienne, de Neuchâtel, de Fribourg… de toutes les régions de Suisse sont présents pour cette fête de l’UMUGANURA. C’est dire que l’association est un élément fédérateur de la communauté rwandaise !

M.A.B: C’est ça. D’où le nom UMUHUZA, le rassembleur. Ça va au-delà de l’association même. Elle rassemble la communauté rwandaise mais aussi la communauté non rwandaise. Parce que ses activités permettent de faire rencontrer des gens : des Rwandais et des non-Rwandais aussi, créer des connections, des synergies. C’est faire rencontrer les gens. Surtout, quand on vient pour du plaisir, ça ne peut que donner envie de revenir. Faire durer ces moments de plaisir, c’est vraiment des moments où on veut échanger, partager, manger, partager un bon repas et puis quelques manifestations. Moi je n’ai pas connaissance en Suisse d’une fête similaire rwandaise qui permet à tous les Rwandais de se rencontrer. Là, la notion du Rwandais prime sur toute autre chose. Il n y a pas de notion ethnique ou religieuse ou autre. Nous sommes déjà à l’étranger, si on devait encore maintenir des divisions, ça serait vraiment dommage. Les gens qui prennent part à ça, ils l’ont compris. Là, ils viennent simplement pour rencontrer les compatriotes, parler la langue, voir des aspects de la culture.

P.N: Justement, vous avez beaucoup insisté sur l’aspect danse, il y a aussi un autre aspect qui n’est pas moins important, c’est l’aspect art culinaire.  Quand les gens viennent dans les festivités de UMUHUZA c’est parce que, entre autres, ils vont trouver des mets traditionnels de chez vous  : le Ubugari (pâte de manioc), les Amateke (la colocase), le Isombe (les feuilles de manioc), tout ce que les gens ne mangent pas tous les jours à la maison. Le côté art culinaire est aussi  très important, je pense !

M.A.B: C’est vrai que l’aspect culinaire est très important dans notre association, je ne l’ai pas beaucoup évoqué. Au départ, on se réunissait pour pratiquer la danse. C’était avant-même qu’on commence à proposer des fêtes. Et puis quand on a commencé les fêtes, ça coulait de source. Cette fête rwandaise, proposée par des Rwandais, qui convient des Rwandais mais aussi d’autres personnes, impliquait d’autres évidences. La notion du Rwanda qui prend une grande place, je crois que ça allait de soi de proposer la cuisine de chez nous. Comme je disais au départ, étant à l’étranger, il y a quand même ce besoin de se rapprocher des racines. Se voir une fois par année, parce que certaines personnes n’ont peut-être plus la possibilité de manger la nourriture de chez eux, c’était un moment de proposer, de partager des plats qui rappellent notre vie au pays, notre enfance pour certains et puis découverte pour d’autres. Effectivement, la cuisine est beaucoup proposée même quand nous sommes conviées à d’autres événements à caractère multiculturel, si ce n’est pas la danse qu’on amène c’est effectivement la cuisine rwandaise qui est d’ailleurs souvent demandée.

P.N: Par l’existence de cette association, le fait que vous êtes composées de membres plus anciens et de membres plus jeunes, comment observez-vous l’intégration des parents qui ont commencé, des enfants qui ont suivi dans la société lausannoise et environnante. Trouvez-vous que UMUHUZA a donné une grande contribution dans ce sens?

M.A.B: Oui, je pense. Parce que quand on est étranger dans un pays, c’est important de se connaître, d’être attaché à son identité pour pouvoir aller à la rencontre d’autres cultures ou même de son pays d’accueil. Cette association, elle a conscience de ça et je pense que c’est aussi un des fondements de sa création. Si je sais qui je suis, si je sais d’où je viens, je pourrai mieux aussi accueillir les choses d’ailleurs. Donc à travers cette connaissance, cette approche identitaire, certainement, en parlant de moi, ça m’a permis aussi d’être bien dans mes baskets, peut-être aussi de vouloir faire découvrir à l’autre qui je suis, être aussi plus réceptive de ce qu’il va me présenter. C’est quelque chose qui participe au développement de chacun. Je pense véritablement que cette association a permis cela et continue à permettre cela.

P.N: …de briser les barrières entre les gens. Quand quelqu’un ne vous connaît pas, ne vous a pas encore approché, il peut se faire beaucoup de bonnes ou de fausses idées. Le fait que l’association existe et qu’elle puisse être en lien avec les autres populations pas forcément rwandaises, ça permet le rapprochement entre les membres de l’association et les autres personnes.

M.A.B: Oui, effectivement, on a tendance à dire que l’inconnu peut faire peur, l’inconnu peut éloigner mais c’est vrai qu’il y a des gens qui ont connu le Rwanda par les différentes représentations que nous avons faites ici et là. Du coup, ça suscite une certaine curiosité, ils ont envie de connaître un petit peu plus. Ça peut casser aussi certaines barrières qui relèvent du fantasme parce qu’on imagine tel pays fonctionner de telle manière. Quand on parle du Rwanda, on voit le génocide. Le Rwanda ne se limite pas qu’à ça, c’est aussi autre chose. L’association quelque part était aussi un lieu de thérapie. On a tous été traumatisés pour tous ceux qui ont vécu la guerre, traumatisés par ce qui s’est passé. Mais il ne faut pas non plus qu’on ne soit que focalisés sur ça, il y a autre chose. Ça, ça bloque aussi dans son développement et puis aussi dans la rencontre de l’autre, de ses semblables. C’est briser aussi ce traumatisme. Aller au-delà et puis parfois me réconcilier avec mon passé. Pour certains, ça peut être aussi ça. Cette association a ce caractère aussi salvateur sans trop nous jeter des fleurs.

P.N: Il faut vous les jeter. C’est une association qui a fait beaucoup pour les Rwandais !

M.A.B: C’est véritablement ça et puis souvent quand on vient d’un pays en guerre surtout si la douleur est encore fortement présente, pour se prémunir de cette douleur, de cette souffrance vécue, on peut se dire : « je vais verrouiller complètement tout ce qui concerne ce Rwanda ». Et puis si j’ai des enfants, je ne les fais pas connaître le Rwanda parce qu’il y a tellement de mauvais souvenirs que je ne vois pas comment m’accrocher autrement que par des choses négatives. En faisant vivre le Rwanda autrement, à travers des rencontres joyeuses dans lesquelles on danse et on chante, on rigole, ça fait découvrir un autre Rwanda, ça donne aussi envie à nos enfants de s’intéresser à notre pays et de continuer à vouloir partager les richesses de ce pays avec les autres personnes rwandaises ou non.

P.N: Ça permet d’apaiser les relations avec le pays d’origine qu’on a toujours tendance à voir de façon un peu négative alors que de belles choses existent !

M.A.B: C’est sûr, tout à fait. Dans cette association, quand on est entre nous, comme on n’aborde pas du tout des aspects politiques, c’est qu’on peut « oublier facilement » ce qui s’est passé ou ce qui se passe. On vit un Rwanda autrement. Et ça, c’est vraiment très agréable. Comme ça nous connecte, de toute manière à ce pays, ça continue à alimenter cette envie de faire perdurer ces rencontres-là.

P.N: Aimeriez-vous ajouter quelque chose d’autre qui n’est pas ressortie à travers mes questions ?

M.A.B: Je pense qu’on a fait le tour. Les éléments essentiels ont été abordés.

P.N: En fait vous faites partie des jeunes dames qui, aujourd’hui, ont pris en main l’association. Vous en êtes la présidente actuellement ?

M.A.B: Non, non. Je ne suis pas dans le comité mais, effectivement, le comité est composé de la deuxième génération. Aujourd’hui, les mamans nous ont délégué la gestion de l’association, même si elles sont toujours présentes. Celles qui sont au comité font un tournus, moi aussi, j’ai fait partie du comité. Comme je disais, il y a cette volonté de faire participer tout le monde. On fait un tournus. Celles qui ont été dans le comité pendant un certain temps vont en sortir pour qu’il y ait d’autres qui intègrent le comité. C’est ce qui, aussi, permet d’éviter des éventuels bisbilles entre les différents membres. Tôt ou tard on y passe tous. Le rôle de responsable, on l’a.

P.N: On donne l’occasion à chacune d’entre-vous d’apprendre à gérer l’association.

M.A.B: Oui, ça peut être aussi un bon lieu d’apprentissage. C’est une vie de groupe avec la gestion d’un groupe et tout ce qui gravite autour d’un groupe. Donc chacun, à un moment donné, adosse le rôle de responsable. C’est des choses qui peuvent avoir de l’importance dans sa vie, même professionnelle. C’est une bonne école de vie, de manière générale.

P.N: Je vous avais demandé de prendre un objet, une photo qui est représentative de l’association. Vous avez pensé à quelque chose ?

M.A.B: Oui, j’ai pris l’uniforme parce que c’est une des premières choses. L’identité de l’association, c’est vraiment l’uniforme qu’on porte. Symboliquement, j’ai pris le premier uniforme. Non seulement c’est le tout premier uniforme pour moi, mais aussi c’est la première fois que je mettais l’  « umukenyero » qui est l’habillement de la femme rwandaise principalement quand il y a des fêtes, des cérémonies. Les femmes, on a une certaine manière de s’habiller. On s’habille également de cette façon quand on danse les danses traditionnelles. J’ai donc pris le premier uniforme qu’on a porté depuis 1997 quand on a commencé à faire les danses ici et là.

Le logo de UMUHUZA ce sont des figurines en train de danser. C’est une activité vraiment principale.

Entretien avec l’association UMUHUZA

Marie-Aurore Bizimana, Rwanda, association UMUHUZA