Entretien avec Madame Angèle Buzangu, originaire de la République Démocratique du Congo (RDC) et domiciliée à Lausanne.
Dans le cadre du Projet Traits d’union mis sur pied à l’occasion des cinquante ans du Bureau Lausannois des Immigrés (BLI), le groupe « Récits de vie » a entrepris de recueillir l’histoire de plusieurs associations des immigrés ou des migrants à titre individuel. Ces associations ont souvent contribué à favoriser une intégration réussie pour leurs membres. L’intégration a aussi été le résultat d’activités menées à titre personnel.
Ici, le récit de Madame Angèle Buzangu (A.B dans le texte), originaire de la République Démocratique du Congo (RDC). Dans un entretien avec Madame Perpétue Nshimirimana (P.N dans le texte), Mme Buzangu indique que mener diverses activités notamment dans le milieu associatif lui a permis de rompre son isolement et de s’intégrer facilement dans la société d’accueil.
P.N : Parlez-moi de vous. Qui est Mme Angèle Buzangu ?
A.B : Je suis maman de quatre enfants et grand-mère de cinq petits-enfants. Je travaille comme assistante socio-éducative dans les APEMS (accueil parascolaire), depuis plus de 20 ans, pour la commune de Lausanne. Je suis arrivée en Suisse dans les années 80 pour faire des études, au départ. Ensuite, je suis restée par là.
P.N : Que faisiez-vous en République Démocratique du Congo, qui s’appelait encore Zaïre, avant de venir en Suisse ?
A.B : J’ai grandi en Belgique, en fait. Dès l’âge de cinq ans, notre père nous avait envoyé, mes frères et moi, en Belgique pour faire des études. Alors j’ai grandi là-bas jusqu’à l’âge de 17 ans. Mes frères ont pensé que ce serait mieux que je sois avec mes parents. Alors, je suis rentrée au Congo pour faire des études, ma dernière année de bac et ensuite commencer des études en faculté de médecine au Congo. Et après, je suis venue en Suisse.
P.N : Dans quelle circonstances avez-vous dû quitter votre Congo natal pour venir en Suisse ?
A.B : J’ai dû quitter justement parce que c’était à l’époque où des étudiants au Zaïre faisaient des grèves pour revendiquer d’abord l’augmentation de la bourse qui était très minime et puis aussi pour revendiquer l’amélioration de l’état des universités. Et comme c’était fermé, le Président Mobutu à l’époque a préféré fermer toutes les universités. Mon père a pensé, comme il avait un ami ici en Suisse, de m’envoyer en Suisse pour poursuivre mes études, à l’université. En fait, j’étais inscrite ici à Lausanne, à Dorigny, en droit international.
P.N : Cela fait plusieurs années que vous habitez ici en Suisse, est-ce que votre Congo natal vous manque de temps en temps ?
A.B : Bien sûr, ça me manque beaucoup. J’ai grandi en Belgique, ensuite je suis retournée au Congo mais je n’y suis pas restée très longtemps. Et quand je suis arrivée en Suisse, c’est vrai, j’avais envie d’aller à la recherche de mes origines. Quand je suis arrivée, je ne parlais pas la langue, la langue qu’on parle au Congo et je me suis dit que c’était dommage d’être dans cette situation. Quand j’ai eu des enfants, je me suis dit : il faut vraiment que je fasse un retour vers mes origines.
P.N : Qu’avez-vous fait pour ça ? Vous êtes retournée au Congo ? Vous y avez emmené les enfants ?
A.B : Les enfants, pas tous mais les deux derniers. On est rentrés au Congo. Avant, on avait créé une association de Congolais justement. C’était pour permettre aux enfants qui sont nés ici ou grandi ici d’avoir des liens avec leur pays d’origine. On enseignait la langue, le Lingala et puis, on faisait la danse de chez nous, on leur parlait de la culture de chez nous. C’est comme ça que j’ai pu garder du lien avec mon pays d’origine.
P.N : Des liens très forts que vous avec transmis en quelque sorte à vos enfants et à d’autres qui ne sont pas les vôtres !
A.B : Exactement. C’était important pour moi. C’est vrai que dans cette communauté, comme je ne parlais que le français, j’étais un petit peu à l’écart, on me traitait même de Blanche etc. Et c’est vrai que ça m’agaçait un petit peu. Alors j’ai fait des efforts d’apprendre la langue moi-même et ensuite d’apprendre ça à mes enfants et aux autres enfants. On a même été un peu plus loin, c’est-à-dire, avec une maîtresse d’école, elle avait un projet de faire rentrer des langues d’origine des enfants dans les collèges à Lausanne. On a commencé à aller d’abord dans le collège au Vieux-Moulin. On est resté quatre, cinq ans avec ce projet et ensuite à Renens. C’est vrai qu’au bout d’un moment les maîtresses et maîtres de classe prenaient sur leur temps de programme et ils n’adhéraient plus pour finir à ce projet. Puis on avait arrêté.
P.N : Les enfants apprenaient le Lingala ?
A.B : En fait, on allait d’abord dans toute la classe faire des animations. On faisait un conte en lingala-français, on leur apprenait des chansons en Lingala. Après, par rapport au lexique de français, on allait avec un groupe de Congolais, les après-midi, travailler sur ce lexique lingala-français.
P.N : Quand vous êtes arrivée en Suisse comme étudiante, quelles ont été vos premières réactions ? Qu’est-ce qui vous a surpris en arrivant ici ?
A.B : Moi, je partais déjà de la Belgique. J’ai grandi là-bas dès l’âge de cinq ans. En Belgique, j’étais jeune, j’étais en Internat chez les sœurs. Je n’avais pas vraiment la réalité de la vie. J’étais protégée là-bas. Je ne connaissais pas le monde. J’ai été dans plusieurs villes de la Belgique, j’ai été à Charleroi, à Liège et à Bruxelles. Venir ici, ça ne me changeait pas beaucoup de la Belgique sauf qu’ici c’était quand-même un pays plus calme, très calme. Je ne connaissais pas beaucoup de gens ici, je me suis sentie très très seule, très seule ici. Quand j’ai quitté la Belgique, je suis allée au Congo, dans mon pays et là-bas on est toujours entouré par la famille, la plus large possible et quand je suis arrivée ici, je me suis retrouvée tellement seule, tellement seule. C’est vrai qu’à l’époque, il n’y avait pas beaucoup d’Africains ici et je n’ai pas ressentie à l’époque le rejet des autres, ça, je ne l’avais pas sentie quand je suis arrivée.
P.N : Vous dites que vous vous êtes sentie seule. Qu’avez-vous fait pour commencer à vous intégrer en Suisse ?
A.B : Alors au fait, j’ai commencé à me promener. J’ai fait des rencontres avec des Congolais et les Congolais m’ont emmenée dans la communauté de chez nous et là j’ai commencé un petit peu à faire connaissance avec d’autres Congolais, ce qui ne m’était pas arrivé en Belgique. Mais ici, j’étais à la recherche des gens de chez moi parce que je me sentais seule. Et c’est comme ça que je suis un petit peu sortie de cette solitude
P.N : Pour vous, vous sentir vraiment intégrée en Suisse ça passe par quoi ?
A.B : Alors, justement, c’est une vaste question cette intégration. La langue, je n’avais pas de problème parce que je parlais français en Belgique. Et chez moi, on a toujours parlé français. Mon père a toujours été à l’aise dans la vie. Il était d’abord Secrétaire au Sénat. Il maniait bien la langue française et à la maison, on a toujours parlé français, au Congo. Et après, j’ai grandi en Belgique, on parlait français. Donc, je n’avais pas, en arrivant ici, de problème de langue.
Pour moi, s’intégrer, c’est se retrouver dans un groupe de gens qui ont d’autres valeurs, peut-être ensemble retrouver les mêmes valeurs avec ce groupe de personnes. Mais ça ne suffit pas ça. S’assimiler à un groupe ne veut pas dire perdre ses propres valeurs. Et c’est ça la difficulté, quand on veut s’intégrer. Accepter les valeurs des autres ne veut pas dire s’oublier soi-même. Pour moi, c’est se retrouver dans un groupe, partager des choses avec ce groupe-là sans oublier son identité. Et ça, c’était important pour moi.
P.N : Se retrouver dans un groupe mais pas forcément un groupe local, pas forcément un groupe de Suisses ?
A.B : Un groupe de Suisses puisqu’on est là, un groupe de gens qui habitent ici en Suisse, pas forcément Suisses, pas forcément étrangers, c’est pour moi un mélange.
P.N : Pour vous en tant que migrante, qu’est-ce qu’il faudrait aux migrants pour se sentir vraiment intégrés ?
A.B : Il n’y a pas seulement le problème d’intégration, moi je trouve. Le plus important c’est l’acceptation des autres. Quand on n’est pas accepté, on ne peut pas s’intégrer. C’est ça justement le problème des migrants : c’est se faire accepter par le pays d’accueil. Parce que pour s’intégrer, c’est important, cette acceptation. Si tu viens d’ailleurs et qu’on ne t’accepte pas, vraiment, comment peux-tu t’intégrer ? C’est impossible. Pour moi c‘est ça le plus difficile, c’est de se faire accepter. Se faire accepter est parfois difficile parce que les autres ont peu de connaissances d’où tu viens, de ce que tu amènes. C’est pour cela que c’est très important que chacun puisse se faire connaître, puisse parler de sa culture etc. Ainsi, on peut se faire mieux accepter et mieux s’intégrer dans ce groupe.
P.N : Vous êtes toujours très active dans le monde associatif. Pouvez-vous en parler ?
A.B : C’est vrai qu’au départ, on était très actif. C’était primordial pour moi et surtout pour les gens qui étaient comme dans ma situation. Je me suis dit que c’était fondamental pour les enfants de savoir d’où ils viennent. Et puis on a vu d’ailleurs dans les écoles que c’était essentiel que l’enfant connaisse sa langue d’origine, parce qu’il aura plus de facilité dans les autres apprentissages. Alors, c’est pour ça qu’on était très très actifs. On voulait aussi partager et faire connaître notre culture aux personnes de ce pays. On était beaucoup dans les festivals, avec les enfants on a fait des pièces de théâtre etc. Avec le temps, le problème que nous avons rencontré, et je pense que beaucoup d’associations font face à la même chose, c’est que finalement on vieillit et la relève ne suit pas vraiment. Et j’aimerais bien savoir que faire pour remédier à ça ? C’est ça le problème.
P.N : Elle s’appelle comment votre association ?
A.B : L’association socio-culturelle des Congolais de la Suisse. Elle existe depuis longtemps, depuis les années nonante.
P.N : Vous pensez qu’appartenir dans ce monde associatif vous a aidé dans votre propre processus d’intégration ?
A.B : Alors, pour moi, ça m’a permis de rentrer en contact avec d’autres communautés. Et ça c’était intéressant d’avoir des échanges avec d’autres communautés qui viennent s’installer ici dans ce pays. Ça, ça m’a permis de faire de bonnes rencontres. Je ne sais pas vraiment si ça m’a permis de créer plus de liens avec la population suisse. Ça, je ne peux pas l’affirmer. Mais en tout cas ça m’a permis de créer des liens avec d’autres associations, d’autres Suisses mais je ne sais pas si j’ai pu faire passer mon message à un grand nombre de personnes. Je ne pourrais pas l’affirmer. Même si c’est peu, c’est déjà ça.
P.N : Vous êtes rentrée chez vous avec deux de vos enfants après une longue absence. Une fois là-bas, vous êtes-vous sentie vraiment chez vous ? N’avez-vous pas vécu une espèce de dépaysement comme d’autres qui quand ils retournent chez eux, on les trouve très occidentalisés et quand ils sont ici, on les considère comme d’ailleurs ?
A.B : En fait c’est ça, c’est ça le grand problème. Déjà j’avais ce problème-là avant vu que j’ai grandi en Belgique. Eh bien, je ne me retrouvais plus dans mon pays d’origine. J’avais l’impression d’être une étrangère. Je ne comprenais pas la mentalité des Congolais et eux ne me comprenaient pas du tout. C’est vrai que c’était un moment très très difficile. Ici par ma couleur de peau, je ne suis pas considérée comme une Suissesse. Donc, ici non plus, je ne suis pas totalement d’ici. Je ne suis pas totalement de là-bas, je ne suis pas totalement d’ici. Donc, je suis d’où ? C’est ça la difficulté. C’est ça qui est difficile à vivre. A un moment donné quand tu ne te sens ni de là-bas ni vraiment d’ici alors c’est là où tu veux absolument avoir une appartenance avec un pays. Alors, j’ai tout misé sur mon pays d’origine. J’ai tout fait pour appartenir à ce pays-là. D’où ces associations etc.
P.N : Vous allez commencer la retraite d’ici quelques mois. A votre avis, quelles questions se posent aux migrants, surtout aux Africains, une fois atteint l’âge de la retraite ?
A.B : D’abord je pense qu’on n’est pas très bien informés sur cette retraite-là. Moi, je me rappelle dans mon travail, il y a deux ans, j’ai suivi une formation sur ça. Pourtant je suis là depuis longtemps, je ne savais même pas que la commune de Lausanne organisait des cours, je ne sais pas depuis quand. J’ai vu des affiches qui proposaient des cours aux migrants au sujet de la retraite. Il y a deux ans seulement que j’ai su et puis il y a deux ans, c’était déjà trop tard. Il aurait fallu que je sache des choses même dix ans avant ma retraite. Ce qui est important c’est informer les migrants sur tout ce qui concerne la retraite. Nos pays n’ont pas signé des accords avec la Suisse, c’est ça qui est compliqué. Quand le Portugais rentre chez lui, sa retraite le suit tandis que nous, non. Ça veut dire qu’on doit toujours avoir un compte ici et revenir de temps en temps. Je pense que ça pose quand-même un problème pour l’Afrique en général. Je pense que les pays africains n’ont pas d’accords avec la Suisse concernant la retraite.
L’autre problème qui se pose aussi est que pendant des années on habite ce pays et une fois arrivé à l’âge de la retraite, le choix de partir est toujours difficile. Tout laisser : les enfants, les petits-enfants pour aller se réinstaller et tout reprendre à zéro, ça fait peur quand-même. On ne sait pas à l’avance comment les choses peuvent se passer.
Autre problème : on est âgé quand on prend sa retraite. L’accès à la santé là-bas dans nos pays n’est pas garanti. Tout ça, on doit tenir compte. Si je suis malade, ça se passera comment là-bas ? Là-bas on sait que si tu n’as pas l’argent dans la poche, il n’y a personne qui va t’ausculter. Il y a plein de choses. On est habitué à un certain confort. Là-bas c’est différent. C’est ça qui fait peur en fait de se dire : « OK, j’arrive à la retraite, je rentre chez moi et puis voilà » C’est plus compliqué pour l’Afrique pour toutes ces raisons-là.
P.N : Je crois que la plupart des pays africains partagent exactement les mêmes problèmes.
Est-ce que vous avez un objet que vous avez apporté de la RDC auquel vous tenez beaucoup et qui participe à maintenir le lien avec le Congo ?
A.B : Ça va être plusieurs choses. J’ai un objet, un bijoux, sculpté par un artiste congolais. C’est en lien avec ma mère, c’est le prénom de ma mère, Mampi, qui est écrit. Ça a été fait par un Congolais et ça je suis vraiment fière. Nous avons beaucoup de matières premières là-bas mais ce n’est pas travaillé chez nous. Et ce bijou a été travaillé par un artisan congolais. C’est de l’or. C’est aussi en lien avec ma mère qui représente les ancêtres. Pour nous les ancêtres sont très importants. C’est vrai en Afrique et chez nous au Congo.
Et puis j’ai un autre objet : c’est un bâton pour faire le Fufu (pâte à base de farine de manioc). Je ne l’utilise pas mais c’est chez moi. Parfois je l’emmène au travail et je demande aux enfants de deviner à quoi ça peut servir.
Propos recueillis Par Perpétue Nshimirimana