Entretien avec Madame Mylène Mpirwa, de la deuxième génération, d’origine rwandaise, naturalisée Suisse.
Dans le cadre du Projet Traits d’union mis sur pied à l’occasion des cinquante ans du Bureau Lausannois des Immigrés (BLI), le groupe « Récits de vie » a entrepris de recueillir l’histoire de plusieurs associations des immigrés ou des migrants à titre individuel. Ces associations ont souvent contribué à favoriser une intégration réussie pour leurs membres. L’intégration a aussi été le résultat d’activités menées à titre personnel.
Ici, le récit de Madame Mylène Mpirwa (M.M dans le texte), d’origine rwandaise, naturalisée Suisse. Dans un entretien avec Madame Perpétue Nshimirimana (P.N dans le texte), Mme Mpirwa parle de la place des jeunes de la deuxième génération dans le pays d’accueil. L’intégration paraît comme une évidence alors que ce n’est pas toujours le cas, qu’il y a beaucoup d’efforts à fournir pour y arriver.
P.N : Pouvez-vous me parler de vous ? Qui est Mylène Mpirwa ?
M.M : Je suis Rwando-Suisse, née en Suisse. Je suis en dernière année de Bachelor en Chimie. Je suis responsable des servants de messe à la Paroisse de Bex, ce qui me tient beaucoup à cœur. Je suis également répétitrice en Maths et Chimie comme job d’étudiant.
P.N : Vous êtes d’origine rwandaise mais de la deuxième génération. Pouvez-vous parler de votre parcours ici en Suisse ?
M.M : Je suis née à Lausanne, mes parents sont Rwandais mais ne sont pas nés en Suisse. J’ai suivi le parcours scolaire classique. Après l’école obligatoire, je suis allée en voie pré-gymnasiale, ensuite j’ai fait trois ans de gymnase en option Bio-Chimie. Maintenant je suis en Bachelor.
P.N : Donc, un parcours comme un enfant d’ici !
M.M : Exactement, sans particularité autre que celle d’un enfant d’ici.
P.N : Vous avez souhaité vous-même vous exprimer sur votre intégration. Pour quelle raison avec-vous estimé que c’était nécessaire d’aborder ce sujet ?
M.M : Je pense que c’est très important d’aborder la question de l’intégration de la deuxième génération pour la simple raison que je pense qu’on est une génération un peu oubliée. Il me semble que les gens pensent que comme nous sommes nés dans le pays dans lequel nos parents sont venus, que nous avons eu exactement la même scolarité, le même entourage qu’un Suisse qui est né ici, la question de l’intégration ne se pose pas pour nous, que nous ne devrions pas avoir beaucoup de choses à dire sur le sujet alors que c’est faux. Je trouve que c’est important que ça soit un sujet à aborder.
P.N : Vous estimez que, comme enfant de la deuxième génération, on ne vous donne pas souvent la parole. C’est comme si les choses allaient de soi alors que ce n’est pas vrai !
M.M : Exactement. On suppose que l’intégration pour la deuxième génération est simple ou du moins qu’elle n’est pas compliquée due au fait que cette deuxième génération ait grandi ici, loin du pays dans lequel les parents sont nés
P.N : Pensez-vous qu’il y a des choses spécifiques à vous que ne connaissent pas la génération de vos parents ?
M.M : Oui. Un exemple simple, dans la rue. Si je suis en Suisse et qu’on me demande : « Vous êtes de quelle origine ? » Je ne vais jamais m’arrêter au fait que je suis Suissesse. La personne en face, de suite me pose la question : « Vraiment, Suisse mais de quelle origine ? » Ça je pense que c’est quelque chose que la première génération n’a jamais vraiment vécu dans la rue. Le fait de venir d’ailleurs semble évident. Ils disent d’abord : « Je suis Rwandais » et ensuite ils ajoutent « Mais je suis naturalisé Suisse » Dans leur cas, ils n’ont aucun problème à développer parce que c’est effectivement le cas. Mais nous dans notre cas, en tant que seconde génération, je pense qu’on devrait, dans la rue, accepter la première réponse : « Je suis Suissesse », que ça s’arrête là et qu’on ne se sente pas obligé de développer notre réponse et d’ajouter l’origine de nos parents. Ce n’est pas que je nie mes origines mais on n’est pas forcément à l’aise avec toutes les explications qu’on doit donner pour parler de notre identité.
P.N : C’est très intéressant ce que vous dites. On a l’impression que même si on est Suissesse depuis le début, il y a quand-même toujours cette question des origines qui se pose, comme si ce n’était pas évident.
M.M : Exactement.
N.P : On doit toujours prouver
M.M : Tout à fait. C’est très frustrant. Etant en Suisse, je me sens Suissesse complètement. Maintenant, par habitude, je me sens obligée de dire : « Je suis Rwandaise et Suissesse » Quand je rentre au Rwanda, là non plus on ne me considère pas comme Rwandaise mais comme Suissesse. Résultat des courses : quel est mon pays natif ? C’est là la question de la seconde génération finalement. C’est que ni en Suisse ni au Rwanda on ne m’accepte en tant que native du pays.
P.N : Il y a vraiment cette problématique d’appartenance. Quand vous êtes en Suisse, vous n’êtes pas Suissesse tout à fait et quand vous êtes au Rwanda, vous n’êtes pas Rwandaise tout à fait.
M.M : Exactement
P.N : C’est une situation qui vous arrive de temps en temps ?
M.M : Au quotidien et dans les deux pays. Le seul endroit où j’ai pu m’arrêter au seul fait que j’étais Suissesse, c’est lorsque, par exemple je me suis retrouvée à l’étranger dans le cadre des études ou du travail dans un autre pays que la Suisse ou le Rwanda. Alors là avec les colocataires, si on en a, ou même avec le travail, on peut se permettre de s’arrêter et de dire qu’on est Suissesse ou qu’on est Rwandaise. Dans ce cas-là, il n’y a pas besoin de se justifier.
P.N : Pensez-vous qu’il y a des choses spécifiques à vous, deuxième génération, qui ne sont pas applicables à vos parents ?
M.M : A part le fait, peut-être qu’au niveau scolaire, on rencontre souvent des difficultés imposées par la première génération. Il faut toujours se donner deux fois plus que la personne qui est Suisse d’origine. Mais à mon avis, au-delà du fait que je sois Rwandaise, ceci s’applique à toute la deuxième génération, quel que soit le pays d’où l’on vient. Cette difficulté-là, ce n’est pas qu’elle ne s’applique pas à la première mais elle s’applique différemment à la deuxième. La génération de nos parents sait déjà qu’elle doit se donner deux fois plus parce qu’elle se retrouve dans un nouveau pays et qu’elle doit faire ses preuves. On aurait pu croire que la deuxième serait allégée de ce poids du fait qu’elle soit née dans le pays d’accueil des parents, qu’elle ait suivi tout le parcours scolaire des enfants nés ici. Mais le constat est que c’est même plus accentué pour la deuxième génération. Les parents veulent encore plus que la deuxième génération soit là pour les représenter. Ils n’ont pas eu le temps ou l’opportunité de faire ce qu’ils voulaient vraiment dans le pays d’accueil et veulent que leurs enfants se donnent à fond pour qu’ils puissent réaliser leurs rêves dans le pays en question.
P.N : La génération des parents est beaucoup plus exigeante, ils aimeraient que les enfants prouvent qu’ils sont au même niveau que les autres, si non meilleurs que ceux d’ici ?
M.M : Souvent meilleurs. Ils souhaitent que les enfants soient meilleurs.
P.N : Au fond, ce n’est pas plus mal !
M.M : Ce n’est pas plus mal mais ça ajoute une grande pression sur les enfants. Ce n’est pas une mauvaise idée de vouloir que ses enfants soient meilleurs que les autres. Concrètement, on cherche toujours dans la vie à être meilleur mais je dirai que, le fait que ceci soit ajouté par la première génération, dans certains cas, ça peut se sentir comme une pression alors que tout être humain se met la pression déjà tout seul. Parfois, ce n’est pas forcément, on va dire, nécessaire.
P.N : Pour vous l’intégration c’est quoi ?
M.M : L’intégration c’est être accepté dans le pays dans lequel on vient s’installer, avoir les mêmes attentes que les personnes qui y sont déjà ou qui y sont nés. Si je devais définir l’intégration c’est, du côté de la personne qui va s’intégrer : apprendre la culture du pays, pouvoir la reproduire, pouvoir parler la langue, pouvoir discuter avec d’autres personnes. Et du côté des personnes qui l’intègrent, elles aussi, de faire le même pas que la personne qui est en train de s’intégrer. Donc, de vraiment la mettre à l’aise, lui montrer qu’elle a tout autant sa place que les personnes qui sont là depuis plus longtemps.
P.N : Pour vous, le migrant doit pouvoir s’intégrer selon les critères que vous venez de définir mais aussi la personne qui accueille, le natif d’ici, doit aussi faire des efforts envers les migrants !
M.M : Exactement.
P.N : Pensez-vous être concernée par cette question d’intégration même si vous êtes née et grandi ici, que vous avez eu le même parcours scolaire que les autres ?
M.M : Je pense être concernée par cette question pour la simple et bonne raison que lorsqu’on entre dans une classe et qu’on a, comme dans mon cas, une couleur de peau différente à celle des natifs suisses, on doit essayer de s’intégrer rien que pour essayer de passer comme les autres, d’être accepté par les autres. Je me sens concernée dans ce sens que chaque jour j’essaie d’être de plus en plus intégrée dans la culture suisse, d’être plus à même d’être à l’aise avec des Suisses natifs même si sur le papier je suis Suisse native. C’est pour cela que je me sens concernée.
P.N : Quels sont pour vous les éléments qui faciliteraient l’intégration des enfants de la deuxième génération ?
M.M : Peut-être faire plus d’activités, on va dire, extra-scolaires qui seraient plus ciblées sur la culture suisse. Cependant, ces activités de façon générale pourraient viser tout le monde au-delà du fait que ça soit la seconde génération venant de parents migrants. Je pense que ces activités extra-scolaires aideraient tout le monde en Suisse. C’est une lacune qu’en Suisse il y ait peu de gens qui, au final, se donnent beaucoup de peine pour connaître la culture suisse. Typiquement l’Hymne national, peu de gens même les Suisses connaissent l’hymne national. Je trouve que ce serait important d’intégrer ça au parcours scolaire. Prendre le temps, quel que soit le niveau, d’apprendre l’hymne national, de connaître les Conseillers fédéraux. Je pense que cela faciliterait l’intégration.
P.N : Donc une certaine interaction entre les gens d’ici et ceux d’ailleurs et des activités dont bénéficieraient les uns et les autres en même temps.
M.M : Exactement, pour mieux comprendre le fonctionnement du pays.
P.N : Est-ce que vous avez gardé des liens avec votre pays d’origine ? Est-ce qu’il vous manque de temps en temps ?
M.M : Oui, heureusement, j’ai des liens. J’ai des tantes là-bas. Je suis retournée deux fois depuis que je suis née ici. Et j’ai toujours des liens avec certains de mes cousins qui sont là-bas. Le pays me manque tous les jours. Cependant je dois dire que plus j’avance, plus je me pose cette question : « Est-ce que, au-delà du fait qu’il me manque, je me sentirais mieux là-bas qu’ici ? » C’est une question que je me pose maintenant, question à laquelle je n’avais pas pensé avant, quand j’y suis retournée. Je me disais que c’était sûr, que je vivrais un jour là-bas, maintenant ça devient de moins en moins certain.
P.N : Une fois que vous êtes allée là-bas, vous vous êtes rendu compte que ce n’était pas si évident que ça. Peut-être qu’il y a des choses qui sont là-bas qui ne sont pas tout à fait comme ici et que revivre là-bas exigerait de faire une vraie réadaptation !
M.M : Une vrai réadaptation mais c’est surtout que, au-delà des difficultés qui sont totalement différentes entre la Suisse et le Rwanda, ce n’est pas forcément le fait de tout recommencer et de trouver un nouveau quotidien, une nouvelle manière de vivre qui me pousse à une réticence à retourner au Rwanda. C’est surtout de constater et de se dire finalement que la seconde génération a tout autant du mal à se sentir native et avoir des racines dans le pays où elle est née que dans le pays dont on dit qu’elle est d’origine. Le problème étant que si je retourne au Rwanda ça serait retourner dans mon pays dit d’origine. Est-ce que finalement je me sentirais vraiment comme native de ce pays-là ? Est-ce que je me sentirais plus à l’aise que de rester en Suisse ? C’est ça qui, maintenant, remet en doute mon choix.
P.N : C’est une vraie question !
M.M : C’est ça.
P.N : Mais quand-même au-delà de ça est-ce que vous faites quelque chose pour maintenir le lien avec le pays d’origine des parents ?
M.M : Oui, bien sûr. Je fais partie d’une association de danses rwandaises, UMUHUZA. Le but de l’association c’est de promouvoir la culture rwandaise pour nous et pour les générations à suivre. On a des cours de Kinyarwanda pour que la troisième génération parle le Kinyarwanda. On a des cours de danse pour qu’on puisse perpétrer cette tradition. Et même le fait de se rencontrer entre femmes rwandaises, ça aide aussi à garder un lien parce qu’elles-mêmes nous enseignent comment est la culture au Rwanda, ce qu’elles ont gardé du pays. Elles nous parlent, par exemple, du mariage qui est toute une tradition et beaucoup d’autres aspects de la culture rwandaise.
P.N : Ça vous donne aussi l’occasion de rencontrer et de discuter avec d’autres jeunes ?
M.M : Exactement et qui sont dans le même cas que moi finalement.
P.N : Auriez-vous un objet qui est venu du Rwanda auquel vous tenez vraiment et qui, justement, participe au maintien de ce lien ?
M.M : J’ai un T-shirt que j’ai ramené du Rwanda sur lequel est écrit « Rwanda » derrière (sur le dos) auquel je tiens beaucoup. C’est vrai que, comparé à d’autres pays, il y a moins de personnes dans des fêtes rwandaises qui ont, par exemple, des drapeaux rwandais. C’est, par exemple, différent des fêtes algériennes comme les mariages ou autres. Eh bien il n’y pas beaucoup de personnes, en Suisse en tout cas, qui ont cette fierté et qui la montrent devant tous qu’ils sont effectivement Rwandais. Donc ce T-shirt, je l’aime beaucoup et j’y tiens parce que je suis fière d’être Rwandaise. Et comme c’est écrit derrière, tout le monde le sait
P.N : Estimez-vous avoir dit tout ce que vous aviez besoin de dire ? Aimeriez-vous ajouter quelque chose ?
M.M : J’aurais été intéressée de savoir s’il y a d’autres personnes qui sont dans mon cas, pas forcément Rwandaises, mais qui ont un peu la même vision. Je pense que recueillir la parole des jeunes de la deuxième génération est un projet qui pourrait prendre plus d’ampleur déjà dans notre communauté mais même en général. La première génération pense que c’est acquis, que comme nous sommes nés ici nous devrions nous intégrer facilement, qu’il n y a pas de problème à l’école, qu’il n y a pas de problème quand on discute avec les autres. Elle ne s’imagine pas, que parfois nous nous retrouvons face à des individus à qui nous disons être Suisses et qui nous disent: « Ah mais, vous êtes exotiques » Je me demande s’il y a d’autres personnes qui ont vécu ça. Ça serait bien que ce projet prenne plus d’ampleur.
Propos recueillis par Perpétue Nshimirimana