Fatma Chebel, présidente de l’association « Femmes musulmanes à Lausanne »
Entretien avec Madame Fatma Chebel, présidente de l’association « Femmes musulmanes à Lausanne »
Dans le cadre du Projet Traits d’union mis sur pied à l’occasion des cinquante ans du Bureau Lausannois des Immigrés (BLI), le groupe « Récits de vie » a entrepris de recueillir l’histoire de plusieurs associations des immigrés ou des migrants à titre individuel. Ces associations ont souvent contribué à favoriser une intégration réussie pour leurs membres. L’intégration a aussi été le résultat d’activités menées à titre personnel.
Ici, le récit de l’association « Femmes musulmanes à Lausanne », présidée par Madame Fatma Chebel (F.C dans le texte). Dans un entretien avec Madame Perpétue Nshimirimana (P.N dans le texte), Mme Chebel parle de tout le travail que font les membres de l’association pour se sentir mieux intégrées dans la société d’accueil
P.N : Parlez-moi de vous. Qui êtes-vous ?
F.C : Je suis Chebel Fatma, Tunisienne d’origine, venue en Suisse en 2005, diplômée de l’Institut supérieur de gestion en Tunisie, spécialité Finances. Je suis mariée et maman d’un garçon de 8 ans.
P.N : Quand et pourquoi avez-vous décidé de créer cette association de femmes musulmanes ?
F.C : Suite à des expériences touchantes et douloureuses parfois des dames musulmanes, j’ai décidé, moi et d’autres copines, de créer cette association. Il suffit d’être musulmane, voilée et immigrée pour rencontrer des problèmes sur le plan professionnel et social, subir des actes racistes… Ceci pousse la femme musulmane à se renfermer sur elle-même et à avoir la sensation d’être rejetée ou sous-estimée. Cette situation nous blesse très fort, d’être discriminées à cause des habits et de notre différence. Il manque aussi des lieux de loisirs pour femmes.
Notre association est venue pour soutenir ces femmes, pour les intégrer dans la société tout en proposant des activités (sport, couture, café-rencontre, cours de français, sorties etc.) pas seulement pour les mamans mais aussi des activités pour leurs enfants (sorties, bricolages, cours d’arabe etc.) A travers toutes ces activités, la femme rencontre et fait connaissance avec de nouvelles personnes. Elles peuvent ainsi échanger leurs expériences tout en s’assurant que leurs enfants ont des activités.
P.N : Vous dites que c’est une association ouverte. N’importe quelle femme, même celle qui n’est pas musulmane, est accueillie ?
F.C : Oui, notre association est ouverte à toutes les femmes. Elles sont les bienvenues. Nous avons d’ailleurs avec nous des dames de confession Hindou et Chrétienne. Elles assistent à nos ateliers et même pendant notre fête de Eïd, elles étaient présentes pour partager des moments agréables et connaître nos traditions. Personnellement, j’étais vice-présidente de l’association « Femmes de la Borde » et j’ai vécu ce beau moment d’être dans un quartier multiculturel, la Borde. Ce sont les cinq continents réunis, c’est une famille. J’aime bien continuer avec le même concept. Nos rencontres étaient à la Permanence Jeunes de la Borde. Il y avait toutes les religions, toutes les couleurs et plusieurs nationalités. C’était magnifique.
P.N : Quel éloge pour le quartier de la Borde !
F.C : Ah oui, la Borde, moi je l’adore
P.N : En créant cette association de femmes musulmanes, vous aviez quoi exactement comme objectifs ?
F.C : Avant la création de notre association, j’ai fixé un rendez-vous avec M. David Payot, Conseiller Municipal. Vous vous demandez pourquoi ? Il est toujours à l’écoute des habitants des quartiers, près d’eux. Il donne des conseils pour avancer, pour améliorer les quartiers lausannois. Je l’ai rencontré pour la première fois lors d’une réunion concernant le quartier de la Borde. Il m’a donné des conseils pour la recherche des fonds, pour la proposition de projets. Je saisis l’occasion pour le remercier infiniment.
Notre association a pour but l’intégration de la femme musulmane dans la société lausannoise sur deux phases : une à court terme et une autre à long terme. La première est la création d’un café-rencontre entre ces femmes immigrées musulmanes. Ainsi, elles ne se sentent pas seules, pas victimes de préjugés et peuvent développer la confiance en soi.
La deuxième phase est d’intégrer ces femmes dans la société à partir de rencontres publiques, des formations, des recherches de travail. Le but est qu’elles soient des membres productifs dans la société.
P.N : Quand vous dites que vous visez l’intégration et qu’en même temps vous parlez d’« Association de Femmes musulmanes », vous ne trouvez pas que vous vous repliez sur vous-mêmes ? Est-ce qu’il n’y a pas une contradiction entre « Intégration » et « Association de Femmes musulmanes » ?
F.C : Non, il n’y a pas contradiction d’être une association de femmes musulmanes et d’être en même temps bien intégrées dans la société. On est un groupe de femmes qui souhaiteraient surmonter ensemble quelques problématiques et trouver sa place dans la société. Plusieurs dames ont des diplômes universitaires et d’autres ont de magnifiques expériences sur le plan humanitaire. Avec ça, nous pouvons ajouter un « plus » à notre société et être productives.
P.N : Quelles sont vos principales activités ?
F.C : Pour le moment, on organise des sorties entre femmes, on fait du sport. Nous avons une rencontre mensuelle ( les mamans et leurs enfants) au cours de laquelle les dames partagent leurs expériences. Si une dame est nouvelle à Lausanne, elle peut être informée, orientée et aidée par les autres. Nous avons un atelier de couture, des cours de français. En même temps, nous organisons des activités pour les enfants. Ces activités sont animées par des bénévoles de notre association.
P.N : Donc vous vous concentrez aussi sur les enfants. Qu’est-ce que vous faites pour les enfants ?
F.C : Notre association organise des ateliers pour les enfants : bricolages, cours d’arabe, jeux de société, dessins, sorties, barbecues (pour mamans et enfants). Si nous n’organisons pas des ateliers pour enfants, les mamans ne peuvent pas assister aux rencontres ni participer aux activités. On remarque qu’il manque des espaces de jeux couverts pour enfants surtout pendant les vacances d’hiver. Et si on n’en trouve, c’est coûteux pour une famille nombreuse. Les enfants, c’est l’avenir !
P.N : Comment vous faites pour éviter qu’on relève une certaine volonté de repli communautaire ? Vous n’avez aucune crainte que cela vous soit reproché ?
F.C : Pas du tout, on est ouvert. Je vous donne un exemple : la dernière fête de Eïd, beaucoup de femmes de confessions différentes étaient présentes. Nous avons invité Mme Gabrielle Winkler, de la police de proximité. Elle est venue et a partagé de bons moments avec nous. Toutes nos activités sont publiques, c’est juste la dénomination « Femmes musulmanes » On aime montrer que la femme musulmane est là, elle existe et elle participe à la vie sociale.
P.N : Comment voyez-vous l’intégration des migrants, en général et des Femmes musulmanes en particulier ?
F.C : Comme association, on note un grand effort du Bureau Lausannois des Immigrés (BLI) pour l’intégration des différents composants de la société. Un grand merci à notre ville de Lausanne qui réunit plus de 100 nationalités sur son territoire. Mais il y a encore beaucoup de travail à faire. Par exemple pour l’équivalence des certificats étrangers afin de valoriser les acquis. De ce côté-là, il y a encore du travail. Pour les femmes musulmanes, on trouve toujours cette difficulté de trouver du travail, surtout pour les femmes voilées, même avec de hauts niveaux universitaires. Nous espérons qu’un jour, la femme musulmane trouve sa place sur le marché du travail, qu’elle soit voilée ou non.
P.N : Je reviens sur la question des enfants. Vous trouvez qu’il n’y a pas beaucoup de choses qui sont faites pour les enfants en hiver. Qu’est-ce que vous aimeriez voir améliorer, qu’est-ce que vous aimeriez qui soit fait pour les enfants ?
F.C : Pour les enfants, en hiver, il n’y a pas de places couvertes pour les activités et si on en trouve, c’est cher surtout pour les familles nombreuses. De ce fait là, les dames restent enfermées chez elles avec leurs enfants. Nous demandons à notre ville de nous créer un espace couvert pour les enfants, gratuit pour les Lausannois.
P.N : Comment vous envisagez l’avenir pour votre association ici à Lausanne ? Qu’est-ce que vous vous donnez comme moyens pour pouvoir rayonner ?
F.C : Bonne question. Notre association, « Inch Allah » comme on dit en Arabe, va grandir et réunir de plus en plus de femmes. Notre association va collaborer avec les autres associations travaillant dans le domaine de l’intégration et de lutte contre le racisme. La femme musulmane va rayonner elle-même. On veut montrer que la femme musulmane est forte et intelligente et peut réussir dans tous les domaines. La femme musulmane va montrer tout son potentiel, elle va essayer d’être une citoyenne présente dans les événements publics et va soutenir les missions humanitaires. Notre association aspire à une place importante dans la société lausannoise en collaboration avec les différentes institutions de la ville.
P.N : Le but serait de rompre l’isolement ?
F.C : Oui. Le besoin c’est d’être écoutées sans préjugés, de retrouver plus ou moins les valeurs perdues : confiance en elles, respect envers les autres et les autres envers elles. Lutter contre les actes racistes à l’encontre des femmes voilées. Oui, notre but est de rompre l’isolement et de bien s’intégrer dans la société lausannoise.
P.N : Qu’est-ce que vous avez pu réaliser dans le cadre de votre association que vous n’auriez pas pu faire dans le cadre d’une association ouverte à tous ?
F.C : Avant j’étais vice-présidente d’une autre association de quartier. C’était formidable, un vrai travail d’équipe. Nous avions gagné au budget participatif de Lausanne, un projet qui a remporté 10.000 CHF. Mais tous ces efforts, ces projets appartiennent à un quartier. Et mon rêve, c’est de réunir toutes les musulmanes de Lausanne, c’est plus large. Nous, les musulmanes, nous avons des règles spécifiques à nous. Nous aimons, par exemple, que le coach de sport soit une dame, nous aimons nager avec un burkini, nous espérons que les sociétés et l’Etat soient ouverts et acceptent d’embaucher des femmes voilées. Beaucoup de membres de notre association sont des universitaires, donc il y a une partie de la société négligée, en attente. Il y a donc beaucoup de sujets et problématiques spécifiques aux dames musulmanes qui ne peuvent être ressentis ou défendus que par elles-mêmes.
P.N : Quand vous avez quitté votre Tunisie natale, avez-vous pris un objet qui continue à vous lier avec votre pays d’origine ? Quelque chose que vous trouvez important ?
F.C : La clé de ma chambre (Rires de Mme Chébel). Je vous jure, si, la clé de ma chambre de notre maison familiale. C’est symbolique et, Inch Allah, que toutes les portes soient ouvertes devant moi.
P.N : Il y a beaucoup de membres dans votre association ?
F.C : Oui, merci Dieu. On est une nouvelle association et, jour après jour, le nombre de membres augmente. Pendant une fête, nous avions loué une salle pour 150 personnes mais le nombre entre mamans et enfants dépassait 200. Maintenant, je n’accepte pas de nouveaux membres car on n’a pas une salle pour se rencontrer pour faire nos activités. On rencontre des problèmes à cause de la dénomination « musulmanes » malgré qu’il y a d’autres associations qui désignent la confession des membres. Nous espérons bien avoir des fonds pour louer une salle. Il faut souligner que la ville de Lausanne nous aide à louer des salles à des petits prix et encourage nos projets d’intégration. Nous la remercions très fort et je remercie le comité de « Femmes musulmanes » C’est un groupe de femmes formidables. Je remercie également tous les membres qui ont fait confiance à notre association malgré qu’elle soit nouvelle et confrontée à beaucoup de défis. L’union fait la force.
Merci à vous et au BLI, plein de réussite et de succès.
Propos recueillis par Perpétue Nshimirimana