Irundina Müller, Portugal
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Entretien avec Madame Irundina Müeller, Portugaise d’origine et habitant à Lausanne.

Dans le cadre du Projet Traits d’union mis sur pied à l’occasion des cinquante ans du Bureau Lausannois des Immigrés (BLI), le groupe « Récits de vie » a entrepris de recueillir l’histoire de plusieurs associations des immigrés ou des migrants à titre individuel. Ces associations ont souvent contribué à favoriser une intégration réussie pour leurs membres. L’intégration a aussi été le résultat d’activités menées à titre personnel.

Ici, le récit de Madame Irundina Müeller (I.M dans le texte), d’origine portugaise. Dans un entretien avec Madame Perpétue Nshimirimana (P.N dans le texte), Mme Müeller parle de tout l’épanouissement qu’elle a tiré de plusieurs activités menées en Suisse et qui ont contribué, sans aucun doute, à son intégration.

P.N : Pouvez-vous me parler de vous ? Qui est IRUNDINA Müeller?

I.M : Parler de moi c’est toujours un peu difficile, je crois que ça l’est pour tout le monde, ce n’est pas que pour moi. Je suis une personne qui aime beaucoup le changement. Je suis une maman, une sœur, une tante, une amie, une voisine. Dans toutes ces tâches, j’apprends toujours quelque chose. Ces choses m’amènent à changer aussi mes valeurs, mes idées, ma façon d’être dans la vie. C’est pour cela que j’ai commencé par dire que j’aime le changement. J’ai beaucoup changé, vraiment beaucoup avec mon parcours migratoire vers la Suisse. C’est un cadeau que la vie m’a donné. Même si ce n’est pas facile pour moi, c’est un cadeau. Ça m’a permis de changer beaucoup de choses dans ma vie. Qui je suis ? Je suis Mme Dina comme les gens qui me connaissent m’appellent.

P.N : Vous êtes Portugaise, que faisiez-vous dans votre pays ?

I.M : J’étais infirmière aux urgences et je travaillais aussi en tant qu’ambulancière TAE (Téchnicos de Emergência Médica), autrement dit : Technicien en Urgence Médicale. C’était mon métier depuis l’âge de 18 ans jusqu’à mon arrivée ici en Suisse.

P.N : Qu’est-ce qui vous a amené à quitter votre Portugal natal pour vous installer en Suisse ?

I.M : Alors, c’est l’amour. J’avais ma vie, je suis maman, je suis même grand-mère. J’avais ma vie bien au Portugal. Un jour, il y a un monsieur, Suisse, qui est tombé amoureux de moi et qui est venu plusieurs fois au Portugal pour me courtiser, ça existe et pour finir, il a conquis mon cœur. Je lui avais proposé de déménager au Portugal pour habiter là-bas où j’avais ma maison, j’avais ma vie, dans la ville de Viseu. Mais lui aussi avait la sienne ici. Contrairement à moi, il avait encore un fils qui n’avait pas fini ses études. Mes enfants, ils étaient déjà tous bien. Alors il m’a dit qu’il aimerait accompagner plus son fils. Il m’a dit : « tu viens en Suisse, tu vas voir c’est un beau pays, ça va être bien pour toi aussi ». Je suis venue comme ça, à l’aveugle. Je ne connaissais pas la Suisse, pas du tout. J’avais une image de la Suisse complètement différente.

P.N : Est-ce que le Portugal vous manque de temps en temps ?

I.M : Je pense que le changement, c’est ça qui fait tourner le monde. Le Portugal ne me manque pas tellement, je peux m’adapter n’importe où, même dans le désert, je crois que je pourrais m’adapter. Parce que, pour moi, notre terre, notre pays est le pays dans lequel nous nous trouvons. Bien sûr que je n’oublie pas mes origines. Mes origines sont portugaises mais j’ai aussi des origines africaines, des origines d’Inde. Je n’oublie pas mes origines. Je pense que c’est ça qui me donne cette façon d’être. Notre pays, c’est le pays dans lequel on vit. Maintenant, c’est la Suisse. Si demain la vie m’amène je ne sais où, je crois que je vais faire la même chose. Je vais continuer à être moi, à accepter le changement. Et essayer de tout faire pour que je ne sois pas un parasite du pays qui m’accueille.

P.N : Je trouve que vous êtes une personne très dynamique. D’abord, quand vous arrivez en Suisse, y’a-t-il quelque chose qui vous a surpris ? Comment vous avez fait pour juste vous intégrer et bien vous intégrer ?

I.M : Si je réfléchis à mon arrivée, là maintenant, ça me fait rire. Mais au début, pas du tout. Je viens quand même d’une famille assez aisée, j’étais élevée par mon papa, mon grand-père et toute ma famille, surtout les hommes. Ils nous ont fait bien comprendre qu’il fallait tout savoir faire parce qu’on ne savait jamais ce que la vie pouvait nous réserver. Alors, dans mon éducation, je devais savoir travailler la terre, prendre soin des animaux, traire les vaches, les moutons, savoir tout faire, savoir travailler dans la restauration, parce que mon papa avait un restaurant.

A la maison la même chose, avec ma maman et mes tantes, il fallait savoir coudre, faire des broderies, crocheter, tricoter, faire la tapisserie. Ici en Suisse, ce savoir- faire pas académique, un savoir-faire transmis de génération en génération, m’a beaucoup servi. C’est une habitude d’Afrique, d’Inde mais aussi du Portugal. Ici, ça étonnait pas mal de monde. Quand quelqu’un me disait : « Je veux apprendre du crochet », je lui répondais : « Moi, je peux t’apprendre, je sais le faire, regardes » Je montrais, ce n’était pas juste des paroles. Comme vous avez dit, je suis dynamique. Et pour moi, les paroles, le vent les emporte. Il faut prouver et montrer ce qu’on sait faire.

Mon image de la Suisse, c’était une image tellement d’un pays avec de l’ordre, qu’il n’y avait personne qui faisait quelque chose contre la loi et ce n’est pas du tout ça. J’entends souvent les gens parler de mon pays, le Portugal, comme un pays du tiers- monde, que les gens sont tous pauvres, qu’ils n’ont pas d’éducation, qu’ils n’ont pas d’écoles, qu’ils ne font pas des études, mais non, c’est complètement faux. Il y a beaucoup de personnes pauvres ici en Suisse, qui habitent dans des appartements tellement petits qu’ils ne peuvent même pas bouger dedans. Par rapport à la santé, nous, au Portugal, nous n’avons pas besoin de payer 250 francs suisses ou 300 francs pour avoir accès à la santé. A cela, il faut encore ajouter les factures. Même si l’assurance rembourse les factures à 90%, il faut quand même payer je ne sais quel montant par année pour avoir le droit à la santé. Au Portugal, on a le système national de santé, l’accès aux soins est gratuit pour beaucoup de personnes qui ont des problèmes chroniques, par exemple le diabète ou d’autres problèmes comme ça. Alors ça ce fut déjà pour moi un choc très grand, très grand, très grand. En plus, quand je suis arrivée ici, je ne connaissais personne, je connaissais juste mon mari. Je ne parlais pas non plus le français. Comme mon mari parle très bien l’espagnol, alors il parlait en espagnol avec moi. Déjà comprendre ce que les gens disaient, c’était hyper difficile pour moi, je comprenais à l’envers, je n’arrivais pas à me faire comprendre. Après c’était les Portugais qui venaient vers moi et me disaient « tu fais ci, tu fais ça, tu vas au social, tu vas demander je ne sais pas quoi » Je me suis dit : « c’est quoi ce pays où tout le monde a des béquilles pour vivre ? Ce n’est pas possible, ça, ce n’est pas moi. Alors je dois faire quelque chose pour moi ! » Là, je vous parle d’un mois et demi que j’étais là, après mon arrivée. C’était tout récent, tout frais. Alors je me suis mise devant mon miroir pour apprendre le français. J’écoutais la radio et la musique française, je répétais les paroles, les mots pour

apprendre. J’ai commencé à lire en français des livres que je connaissais en portugais. Et comme ça, j’ai appris le français moi toute seule. Plus tard, je suis quand même allée à « Français-en-jeu » pour comprendre un peu mieux, pour avoir un certificat. Mais c’est quand même sur le terrain que j’ai appris à parler et à écrire le français. Je n’avais pas d’argent pour me payer une école française. Je connaissais très peu de monde parmi les très peu de personnes qui parlaient bien le français. Je me rendais bien compte que leur français, même des gens qui étaient là depuis 20 ans, ce n’était pas un français correct. Alors je me suis dit « Je vais apprendre »

 

J’avais l’impression que les immigrés qui étaient là, en tout cas, de la même origine que moi, étaient tous un peu avec des béquilles : des aides sociales, des aides de l’A.I (l’Assurance Invalidité) … Ils ne comptaient pas sur eux-mêmes. Ils ne se valorisaient pas. Alors, je me suis mise à faire un projet de bénévolat.

P.N : Pour vous l’intégration passait beaucoup par l’apprentissage de la langue française ?

I.M : Ah oui, sans doute. Je vous raconte juste deux épisodes qui sont l’opposé l’un de l’autre. Par exemple, un jour je suis allée dans un café et j’ai voulu boire un thé. J’aime bien les boissons bien fraîches et je ne savais pas comment on disait « glaçons ». Alors j’ai dit : « Je veux un thé avec des petits icebergs » Jusqu’à aujourd’hui quand j’entre dans ce café le serveur me dit toujours : « Tu veux des petits icebergs dans ton thé ? » Ça s’est bien passé, tout le monde a rigolé. Il y avait des gens assis sur la terrasse qui ont éclaté de rire. Je m’étais fait comprendre. Mais une fois, dans une grande surface suisse dont je ne vais pas dire le nom, je me suis adressée à une personne parce que je cherchais des œufs et je ne savais pas comment dire œuf. Alors j’ai dit : « Madame, j’aimerais savoir où sont les … vous savez les poules ça fait co.co.co.co et après ça sort quelque chose » Mais là, ça n’est pas passé du tout. La personne s’est énervée et a dit : « ces gens qui ne parlent pas le français » Et c’était une portugaise. Là je me suis dit : « Non, il faut que j’apprenne et parle le français le plus vite possible » Et je vous assure, je suis arrivée en Suisse en janvier 2016, au mois d’avril 2016, j’ai les preuves, je suis allée faire un test de français, j’avais déjà « Bien » C’est pour cela que je trouve que pour une très bonne intégration, ça passe par la langue. Si non, on rate beaucoup, beaucoup de choses. On n’arrive pas à développer tout notre potentiel. Ce n’est pas pour notre gloire, c’est pour montrer qu’on est utile, qu’on sait faire plus que le nettoyage, qu’on sait faire plus, qu’on peut avancer dans la vie. Si non on ne vit pas, on survit. Et moi, je veux vivre.

P.N : Vous êtes arrivée en Suisse, vous ne vouliez pas rester les bras croisés et vous avez commencé par du bénévolat. Pouvez-vous parler de tout ce que vous avez fait pour continuer à perfectionner votre intégration ?

Trousse de couture avec laquelle Mme Irundina est arrivée en Suisse

I.M : Tout au début, je ne pouvais pas faire grand-chose. Le niveau de mon français était très faible. Quand je relis ce que j’ai écrit au mois de mars et au mois d’avril 2016, j’ai honte. J’ai fait de mon mieux, sans l’aide de traducteur ni de correcteur automatique mais avec le dictionnaire, la grammaire. Et là, j’ai fait un projet de bénévolat pour les migrants et les requérants d’asile. C’était un immense projet, un jour je vais vous le montrer, si vous le souhaitez car il comprenait pas mal de choses. Il comprenait des ateliers pratiques pour que les gens développent les ressources qu’ils avaient, des ateliers un peu théorique comme par exemple le « café- contact », le « cyber-café » pour mettre les gens plus à l’aise avec l’informatique. Ces ateliers pratiques permettaient aussi de favoriser un échange entre les cultures, que tout le monde se dise : « on est là dans le même pays, on va faire des échanges de savoirs et on va faire ensemble quelque chose de bien, une construction » Par exemple moi j’ai des compétences pour faire de la broderie que les autres personnes ont envie d’apprendre et elles ont des connaissances, par exemple, pour faire à manger. Cette personne avec des compétences culinaires pouvait faire à manger pour des gens qui sont là pour apprendre à faire la broderie.

P.N : Donc un véritable échange de savoirs ?

I.M: Un échange de savoirs. Et aussi pour intégrer différentes cultures qui, normalement, ne pouvaient pas se mélanger. Ça arrive et c’est connu qu’il y a des peuples qui sont voisins mais qui ne peuvent pas se voir. Cette discrimination, je voulais l’enlever un petit peu. J’ai remarqué, par exemple, que les Albanais étaient tous ensemble, les Portugais la même chose, les Italiens également et ne se mélangeaient pas entre eux. Ils se mélangeaient avec quelques Suisses, les Espagnols se mélangeaient parfois avec les Portugais et les Italiens mais c‘était juste pour boire un café, parler football, parler femmes, parler des choses superficielles. Pourtant c’est tellement riche d’apprendre différentes façons de vivre, différentes cultures, différentes langues. Le but de ce projet était celui-là : un échange de savoirs, pas qu’intellectuel mais aussi de savoir-faire mais également pour réunir

toutes ces différentes cultures, toutes ces différentes nationalités, toutes ces différentes langues, tout le monde ensemble, comme dans un monde parfait. C’était un peu comme ça.

P.N : Vous n’avez pas essayé de pratiquer ici en Suisse comme infirmière ?

I.M : J’ai eu 33 ans de métier, 33 ans de métier au Portugal. Et ici qu’est-ce que je devais faire ? Faire une équivalence de mes diplômes (Mme I.M insiste sur cette phrase). Non, non, non, non. Je dis ça comme ça, parce qu’aussi après 33 ans, c’était suffisant pour moi de faire infirmière. J’avais envie de découvrir d’autres choses. J’avais découvert un autre pays pourquoi ne pas essayer d’autres choses ? Mais en même temps je trouvais ridicule cette formule de faire l’équivalence des diplômes., C’est une façon de faire que je trouvais prétentieuse. Je me suis posée cette question : « c’est juste les diplômes suisses qui sont bien ? Rien d’autre ? » Moi au Portugal, je voyais souvent des enfants qui étaient nés ici, fils d’immigrants portugais qui, pour X raisons, déménageaient au Portugal et recommençaient l’école au Portugal. Ils allaient toujours une ou deux classes en arrière. Alors, je ne voyais pas pourquoi ils demandaient l’équivalence des diplômes. C’est une bêtise. Les gens peuvent dire n’importe quoi, je trouvais ça injuste. Alors, je me suis dit : « Je change de métier » Et en plus, je n’avais pas l’argent pour faire l’équivalence des diplômes. Mais non, il me fallait travailler pendant je ne sais combien de temps. Alors j’ai voulu faire un changement de profession. Et là je me suis adressée à un endroit pour ça. La réponse a été : « Madame, avec votre âge, vous êtes Portugaise, je vous propose une formation en propreté » Et moi je ne savais pas ce que c’était « propreté ». Je trouvais très joli ce mot. Alors j’ai dit « Propreté, ça me va très bien, je vais faire cette formation » Je me suis adressée à UNIA parce que c’était là que se passait cette formation en « propreté » Heureusement, la personne responsable m’a dit : « Mais Madame, je vous voie bien gérer une entreprise de « propreté » mais pas à être « agent de propreté » C’est là que j’ai découvert que « propreté » était synonyme de nettoyage. Je suis restée hyper triste. Je ne me suis même pas sentie blessée, je me suis sentie triste pour cette personne qui avait un diplôme suisse, placée pour donner une orientation à des personnes qui viennent demander son aide et qu’elle n’ait même pas pris le temps de savoir quelles étaient mes ressources, mes compétences et mes envies. Je me suis dit : « non, non, je vais continuer à faire mon chemin de combattante » Et je n’ai pas fini, je vais vraiment changer, je vais arriver. C’est une dure bataille, mais je vais y arriver.

P.N : J’ai fait votre connaissance à la Maison de quartier de la Pontaise où se déroulent plusieurs activités. Quel est votre rôle à cette Maison de quartier ?

I.M : Je suis présidente de l’association de la Maison de quartier de la Pontaise depuis le 17 mai 2022. Mon souhait en tant que nouvelle présidente est de valoriser cette maison de quartier en la transformant en un lieu vraiment ouvert à tous. Depuis 2016, j’étais déjà bénévole. J’ai participé à plusieurs activités avec des enfants, des adolescents et des adultes. En ce moment je suis présidente mais j’anime aussi un atelier couture. J’apprends aux gens qui ont envie à faire de la couture de A à Z mais aussi à faire des transformations de vêtements. C’est-à-dire changer les habits comme transformer une robe dans une veste, un pantalon en une jupe, des choses comme ça. Et j’invite aussi des connaissances à moi qui ont des savoirs différents des miens à venir expliquer à ces groupes qui viennent dans les ateliers de couture d’autres objets particuliers à faire . Maintenant nous confectionnons des sacs qui peuvent servir à beaucoup de choses. Peut-être dans un ou deux mois, je vais inviter d’autres personnes pour venir apprendre à colorier des chaussures ou faire des bijoux ou d’autres choses comme ça. Toujours des échanges de savoirs.

 

P.N : Les personnes qui viennent soit à ces ateliers soit aux autres activités sont des personnes qui viennent de plusieurs horizons, de plusieurs nationalités ?

I.M : Oui, c’est ça la richesse. Effectivement, elles sont de différentes nationalités, elles ont différentes façons d’être dans la vie aussi. Et ça, c’est quelque chose de très important. Tout le monde s’entend bien, tout le monde rigole. Ça se passe bien et c’est magnifique.

P.N : Ces activités, vous les réalisez toutes dans le cadre de l’association de quartier ou vous les faites parfois comme Mme Irundina, à titre personnel ?

I.M : Alors, en 2016, j’ai commencé à développer tous ces projets que j’avais dans le cadre du bénévolat à l’EVAM (Etablissement Vaudois d’accueil des migrants) et je les ai faits pendant deux ans environ. Là je faisais plusieurs ateliers : atelier d’art pour enfants et pour adultes, atelier de coiffure, café contact, cyber-café, atelier couture. On a même fait des défilés de mode, toujours pour l’EVAM. Ici à la Maison de quartier de la Pontaise, comme j’appartiens à l’association de la Maison de quartier, je peux dire en quelque sorte que je le fais pour l’association de la Pontaise mais aussi comme bénévole, comme Irundina, moi-même, ma personne.

J’appartiens aussi à un autre projet, le « Repair café » qui a gagné l’année passée ou il y a deux ans je ne sais plus, le premier prix du budget participatif de la ville de Lausanne. Cela se passe à Pôle-Sud, on se retrouve le premier jeudi de chaque mois. Les gens peuvent venir sur inscription sur notre site internet «repaircafe- lausanne.ch » Ils peuvent venir faire réparer des objets qu’ils destinaient, à la base, à la déchetterie mais qui ont quelque chose d’émotionnel pour eux. Parfois on a, par exemple de la peine à jeter une vieille radio qui est toute cassée, qui ne marche plus. On a de la peine à la jeter pourquoi ? Parce que c’était notre tonton qui nous l’avait offerte. Alors, on peut la faire réparer. Le « Repair café » est aussi là pour dire aux gens: « Arrêtez d’acheter, d’acheter » Parfois il s’agit juste d’une petite chose pour remettre en route un appareil qui est cassé. Et ça, c’est aider notre Planète dans plusieurs domaines: économiques, écologiques… Dans «Repair café», on essaie juste de dire: «Réparer plutôt que jeter» On va prendre possession de nos objets, on va les transformer si on ne peut plus les réparer, on va en faire des œuvres d’art. On peut, par exemple, faire un abat-jour ou autre chose. Mais on ne jette pas pour aller acheter de nouveaux objets. Ces réparations se font avec l’aide de personnes qui ont des compétences. Nous, nous sommes juste là pour donner un coup de main et donner des tuyaux sur comment réparer. On ne fait pas nous-mêmes les réparations, sinon ça n’a plus de sens. Si on fait nous- mêmes, on va prendre la place des réparateurs indépendants, on va prendre la place des commerçants qui font des réparations, pour qui c’est le travail, le gagne- pain. Et là on ne fait pas ça, on ne veut pas prendre leur place.

P.N : L’atelier couture que vous animez tous les mercredis a du succès. Où avez- vous appris la couture ?

I.M : Avec ma maman. Ma maman faisait des robes de mariage et elle le fait toujours mais elle est à la retraite. Les robes de soirée, c’était sa profession. Depuis l’âge de trois ans, j’avais une aiguille dans les mains, des petites perles à enfiler. Elle devait travailler, il n’y avait pas de garderie à l’époque. J’étais à côté d’elle avec une petite aiguille à faire une petite broderie. J’ai toujours ma première broderie, j’avais quatre ans mais c’était déjà pas mal. Et de là, j’ai eu le goût pour la couture. J’ai trois sœurs et aucune de mes sœurs, une est décédée mais je pense toujours à elle, aucune de mes deux sœurs n’aime la couture, c’est moi seule qui aime ça. Par exemple les autres arts comme le tricot, le crochet, la tapisserie, c’était ma grande tante. C’est avec elle que j’ai appris. C’était le transfert de savoirs. C’est riche ça.

P.N : Je reviens sur vos activités qui ont participé à votre intégration ici en Suisse, quelles sont pour vous d’autres idées qui faciliteraient l’intégration des migrants eu égard à votre expérience ?

I.M : Je vais paraître un peu très dure dans ce que je vais dire mais. Aujourd’hui quand je vous parle, il semble que tout est rose mais j’ai pleuré beaucoup de fois. Parce que malgré que j’ai tout fait pour mon intégration, j’ai fait de la conciergerie, j’ai fait du nettoyage, j’ai fait tout ce que j’ai pu faire comme travail pour pouvoir avoir de l’argent pour payer mes assurances maladies et pour pouvoir manger. C’est dans cet ordre : loyer, assurance-maladie, après, manger. Peut-être je n’ai même pas mangé à ma faim, dans le passé en tout cas et même maintenant, cela peut arriver. Il y a d’autres personnes comme moi. Je ne suis pas l’unique. Ça n’a pas été que des roses, il y a eu aussi beaucoup des épingles qui piquent. J’ai pleuré à plusieurs reprises quand je nettoyais un WC qui était tout sale et quand je pensais que j’avais au Portugal des femmes de ménage pour me faire ça. Ce n’était pas par orgueil, mais j’ai quand-même dit merci parce que j’ai appris quelque chose. J’ai appris aussi à donner de la valeur à certains travaux qu’avant je considérais comme acquis. Mais non, il n’y a rien d’acquis dans cette vie.

Pour l’intégration des migrants, je pense que l’Etat suisse devrait quand-même être un peu plus exigeant dans les aides qu’il concède. Je travaille beaucoup, je ne veux pas parler de moi comme ça parce que ça pourrait paraître que je me mets en compétition. Mais ce n’est pas une compétition, c’est une observation générale, il y a toujours des exceptions, c’est ça qui fait la règle. Beaucoup de gens qui sont là, même des Suisses, ont trop d’aides, aides sociales etc. et ça amène à la paresse. Les gens sont confortables, tranquilles. Ils se disent : « Pourquoi je vais m’embêter à chercher du travail quand j’ai les frais du dentiste qui sont payés, les frais médicaux etc. ? » Alors ils sont tranquilles. Ils ne sont même pas intégrés, ils sont là, ils végètent quand il y a d’autres qui bossent. Il y a beaucoup aussi qui bossent, qui ne parlent pas le français. Ils connaissent la Suisse parce qu’ils vont se promener. Est- ce que c’est ça l’intégration ? Est-ce que c’est connaître un peu le pays, travailler qui fait qu’on est intégré ? Non, l’intégration c’est toute autre chose. Ça implique de connaître les us et coutumes de la Suisse, être bien entouré. Il s’agit de dire qu’est-ce que je peux donner en échange à ce pays qui m’a accueilli ? Pour moi c’est ça l’intégration. Ce n’est pas que payer les impôts. C’est aussi dire qu’est-ce que je peux donner à ce pays ! Et qu’est-ce que ce pays peut me donner à part l’argent !

Parce que pour beaucoup de migrants, la Suisse c’est que de l’argent. C’est comme un arbre qu’on secoue et l’argent tombe. C’est une image un peu caricaturale mais peut-être qu’avant c’était comme ça. Et pour moi l’intégration, ce n’est pas ça. Je pense que la Suisse devrait mettre en place une chose. Pendant un an et demi une idée m’a travaillé la tête : les nouveaux arrivants, ils sont quand-même annoncés à la ville qui fait une petite cérémonie pour les accueillir. Le discours qu’on entend, moi je l’ai entendu, c’est comme si tout allait bien se passer. Non, on doit commencer tout de suite à dire les devoirs des gens. « Vous avez le devoir de faire ça, ça, ça » et après parler des droits. Mais ici on fait le contraire et ce n’est pas bien. Mais aussi mettre en place un organisme, je n’ai pas encore bien réfléchi à ça, pour bien orienter les personnes quand elles viennent ici à la recherche du travail. Parce que le travail c’est la richesse. Les personnes migrantes ne devraient pas non plus venir ici faire du n’importe quoi : faire le nettoyage au black pour gagner de l’argent au black et bénéficier des aides sociales, non. Il faut intégrer ces gens. L’intégration, à mon avis, ça passe en premier par la langue et en deuxième par le travail. Ces deux choses vont ensemble. Il faudrait arrêter avec les pénalisations stupides qui frappent parfois les gens quand ils sont inscrits à l’ORP (Office Régional de Placement). Parfois quand ils n’ont même pas le droit de toucher des indemnisations du chômage, ils reçoivent quand-même des lettres de pénalisation, ça intimide les personnes et ça donne envie de rester au social. Je pense qu’il faut faire une réflexion à ce niveau.

P.N : Pensez-vous avoir parlé de toutes les situations qui vous ont touchée quand vous êtes arrivée ici en Suisse ?

I.M : Une chose qui m’a beaucoup touchée par exemple et ça j’ai un peu de la peine à en parler, c’est la solitude que les gens ont ici en Suisse. Les gens sont très seuls. La solitude dans ma langue peut désigner une personne qui est seule mais qui est bien, c’est son choix. Mais ici solitude, ça veut dire souvent qu’une personne est seule mais ce n’est pas son choix. Elle est seule parce qu’elle n’a pas tellement d’argent pour sortir et faire des conversations, parce qu’elle a beaucoup de problèmes dans sa vie et qu’elle n’a personne avec qui parler, parce qu’elle a des enfants qui ne viennent jamais lui rendre visite, parce qu’elle a des enfants qui viennent lui rendre visite mais pas fréquemment. On a tous notre vie, on a des rendez-vous. Si je veux venir manger chez vous, je dois vous appeler six mois à l’avance. Et cette solitude que les gens ont, ça m’attriste, ça me touche beaucoup.

Je trouve qu’il y a beaucoup de gens qui sont seuls ici en Suisse. Mais je ne parle pas que des personnes âgées, je parle aussi des jeunes, des gens de tous âges. C’est triste. Il y a un manque d’amour. C’est comme si, ici en Suisse, on n’avait pas le temps de donner l’amour. Les factures passent en premier, les soucis d’argent passent en premier, les soucis administratifs passent en premier. Mais l’unique chose dans ce monde qui perdure c’est l’amour. Qu’est-ce qu’on peut prendre d’ici ? On ne prend pas l’argent, on ne prend pas les maisons, on ne prend pas les poursuites, on ne prend pas les dettes, tout ça reste. L’unique chose qui vient avec nous c’est l’amour. C’est gratuit, ça ne coûte rien. Une autre chose importante c’est sourire avec tout le visage, pas comme je vois souvent les gens dire « bonjour » avec un sourire qui montre juste les lèvres qui montent et des yeux qui ne disent rien du tout. C’est joli de dire « bonjour », il faut qu’on ressente que ce « bonjour » est dit avec amour. Ça, ça m’a touché beaucoup mais aussi la difficulté que les migrants, en général, se trouvent dans la recherche d’un travail qui les rend heureux. Quand une personne est heureuse dans son travail, elle est productive. Elle met le T-shirt de l’entreprise, de l’association, de la Fondation. Elle défend son employeur. Mais quand elle est malheureuse, elle gagne juste l’argent. Après si elle est malheureuse, elle ne va pas apprendre le français, si elle est malheureuse, elle s’en fout de la politique suisse. Si elle est malheureuse, elle est juste là pour gagner de l’argent. Elle n’est pas intégrée, elle habite là, c’est tout. Et un pays avec des zombies vivant, ce n’est pas trop cool. Mais aussi une autre chose que j’ai trouvé intéressante et qui m’a interrogée, je vois beaucoup de monde marcher. Marcher, c’est bien pour la santé mais il faut réfléchir. « Ça vide la tête, ça vide la tête », disent les personnes qui marchent. Mais quel est l’objectif de marcher ? Vous marchez pourquoi, vous marchez vers où ? Et cette image de voir les gens qui marchent me fait penser un peu à la direction que veut prendre la Suisse pour tous ces migrants. On est beaucoup de migrants. Qu’est-ce qu’elle veut de nous ? On marche vers quoi ? On ne sait pas, on marche, on marche, on marche. On ne regarde même pas à côté, on marche droit. On ne regarde pas la jolie fleur qui est là, un oiseau qui est là posé sur un arbre. On marche, on marche, on marche. C’est comme ça que je vois l’immigration en Suisse.

Propos recueillis par Mme Perpétue Nshimirimana

 

Entretien avec Madame Irundina Müeller, Portugaise d’origine et habitant à Lausanne.

Irundina Müller, Portugal