Rafaela de Moraes, Brésil, 2 textes composés en atelier d’écriture
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Un vraie maison, avec sa lumière et ses gâteaux.

MIGRER – APPRENDRE A PERDRE.

J’ai perdu mon bonnet vert cette semaine – il était très très moche.  Je n’y étais pas trop attachée, ça ne mettait pas ma tête en valeur, ce bonnet. Ça piquait, en plus. Mais comme il nous arrive très souvent, on s’y fait. On commence à aimer un objet quelconque, on s’y fait, comme les amours qu’on n’a pas bien vécues au début, mais qu’on a appris à aimer parce qu’on ne pouvait pas faire autrement, ou on pensait ne pas trop avoir le choix.

Mon bonnet vert n’était pas perdu dans un train, ni dans un café, il n’était pas à la maison non plus. PERDU, DISPARU ! Tout seul. Et mon amour pour lui n’était pas partagé. Peut-être que c’est là la cause de sa disparition. Mon bonnet ne partageait pas avec moi les mêmes sentiments.

Mon bonnet m’a tout simplement abandonnée, vu qu’il ne m’aimait pas. C’était mieux ainsi.

J’ai perdu aussi une paire de lunettes que j’aimais bien dans le train qui venait de Marseille. Le train avait un jour de retard à la suite d’une alerte à la bombe.

Il n’y avait pas de bombe. Si jamais il y en avait eu une, mes lunettes auraient explosé avec le train, avec moi qui les aimaient bien et avec tous les autres passagers qui avaient l’air trop silencieux parce qu’ils étaient en première classe et parce que souvent dans les trains qui viennent de la France, il règne ce calme nerveux, comme si le moindre bruit serait en lui-même la cause de l’explosion.

Elisabeth Bishop, l’écrivaine américaine, dans un poème appelé ONE ART, disait qu’il faut progressivement apprendre à perdre des choses – selon leur ordre d’importance.

C’est vrai qu’il y a des choses dont on n’a pas vraiment de la peine à se séparer, comme mon bonnet vert par exemple. Elle disait aussi qu’il fallait maîtriser la perte des noms et des prénoms – par oubli – et même des endroits qu’on perdait, cela ne voulait pas dire grand-chose selon elle.

J’ai l’habitude de perdre des clés, des lunettes, des papiers. Ce ne sont pas les objets qui me manquent après. Ce sont des choses de valeur inestimable ; c’est l’odeur de mon chez moi, dans mon pays, ce sont les murs de mon petit salon chez moi, remplis de livres. Il n’est même pas beau, ce salon, il est tout petit, mais il m’est cher grâce à sa lumière. Ça me manque, cette lumière, l’odeur de cette lumière.

SAUDADE de préparer le café dans mon four à gaz. Ça me manque de voir la flamme lumineuse bleue du feu de la cuisine, mélangée à la lumière qui venait de la fenêtre devant le parc. Ça me manque, ces gros arbres que je voyais depuis la cuisine.

J’ai perdu cette lumière, trop flamboyante, brûlante, estivale même en hiver. Ça me manque les pavés dans les rues et le bruit des voitures qui passaient par là. C’était joli, le bruit des voitures sur les pavés, ça réconfortait.

Mais tout ça ne se compare pas à la capacité que j’avais de m’émerveiller chaque matin, bercée par cette lumière limpide, diffuse, heureuse.

J’ai perdu une ville, une maison, un pays, j’ai perdu ma mère, ma jeunesse, un amour, mon bonnet vert.

J’ai gagné une nouvelle ville, un pays, des nouveaux amis, deux filles, de la sérénité.

Je n’ai pas pratiqué l’art de perdre, on apprend au coup par coup. Goutte à goutte, c’est triste et beau à la fois. Mais à la fin, on apprend, et on découvre qu’on trouve beaucoup plus que ce qu’on perd – que ce soit les bonnets, les lunettes, les amours.

DES GÂTEAUX POUR FAIRE LE LIEN ENTRE AVANT – MAINTENANT

J’ai toujours pensé que pour avoir une vraie maison, il fallait avoir du bruit. Du bruit des machines qui marchent, du bruit de la théière, du bruit de la vaisselle dans le lave-vaisselle. La vie en cours.

Pour moi, une maison, une vraie maison, doit avoir des odeurs. Chez moi, ici, on n’a pas le droit d’avoir une machine à laver, on l’a collectivement. Mais j’aime l’odeur des habits lavés mon jour de lessive, aujourd’hui, vendredi.
Je sépare les habits par couleurs, les rouges, les roses, méticuleusement. J’aime les vendredis pour ça.
Les vendredis sont des jours pour faire le bilan, les jours pour préparer la meilleure nourriture de la semaine. Et avec l’arrivée de la saison froide, le jour des gâteaux.

Pour moi les gâteaux ont une signification très particulière : ils consolent les peines, m’organisent les pensées, me projettent dans l’avenir.

gateau rafaela
le gâteau de Rafaela

J’ai plusieurs moules et je préfère ceux avec un creux à l’intérieur. La forme me calme, elle me ramène dans mon enfance, aux flans que ma maman me préparait.
En anglais, on appelle les moules des bund cakes, je ne sais pas trop comment le dire en français. Mais je me transporte par les formes, par la texture, par le goût même sans trop aimer les gâteaux parce qu’ils ont cette capacité presque méditative d’accomplir un but, une science exacte : la mesure exacte, la température exacte, la manière de gérer les ingrédients. La surprise du résultat (ou pas) à la fin.

 

Faire des gâteaux, c’est la façon que j’ai trouvée de me reconnecter avec mes origines, de lier mon passé là-bas avec mon présent ici. En faisant des gâteaux, je fais le pont entre ce que j’étais et ce que je suis maintenant. Je me trouve dans ces frontières, je me connecte et je sais tout simplement que je suis, peu importe l’endroit.

Textes produits en atelier d’écriture animé par Françoise Bonny – association Nanaboco

Un vraie maison, avec sa lumière et ses gâteaux.

Rafaela de Moraes, Brésil, 2 textes composés en atelier d'écriture