Véra Tchérémissinoff, fille d’immigré russe
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Véra Tchérémissinoff, fille de immigrés russes – Avec ou sans chaussures, texte composé en atelier d’écriture

Avec ou sans chaussures.

Souvenirs

Quand on évoque les chaussures, deux souvenirs me reviennent immédiatement en mémoire : un souvenir amusant et un souvenir douloureux.

Le premier se passe à Nice, pendant mon école primaire. Tout de suite après la guerre 39-45. A cette époque, il y avait beaucoup de nouveautés, des bas nylons aux « mixers » ou « frigo » remplaçant la glaciaire.

Chaque automne, à la rentrée scolaire, on nous achetait, à ma sœur et moi, des chaussures sensées tenir toute l’année scolaire. Une seule paire de chaussures jusqu’au printemps suivant, puis on avait droit à une paire de sandales pour l’été. Et là, il y avait un moment miraculeux : on nous faisait mettre les pieds chaussés dans un appareil, et le squelette de nos pieds apparaissait en vert lumineux. C’était un système pour vérifier que nos pieds n’étaient pas trop serrés dans la chaussure.

Ce système a tout à fait disparu, car il s’agissait de rayons X mauvais pour la santé.

Le second souvenir date de mes 16 ans, à Lausanne, et de mon entrée dans le « monde » lors d’un bal. Je portais des chaussures à haut talon, très effilées, assorties à ma robe en tulle vert pomme.

Toute la soirée ne fût que souffrance et cloques à venir. Bien sûr, je n’avais rien laissé paraître, mais les chaussures finirent à la poubelle…

Pieds nus et libre

J’ai toujours eu de la peine à trouver des chaussures qui ne me fassent pas mal. Lors des achats, c’était toujours un problème. J’ai des pieds très étroits. Si j’achetais la bonne longueur, ils étaient trop larges, et vice-versa.

Je passai les années 68 à 72 à Rome où le mouvement hippie me rattrapa. J’avais déjà fait partie, à Lausanne, d’un groupe d’étudiants de gauche, le MdE, et là je retrouvais mon idée d’égalité, de solidarité, de communauté, mais poussées encore plus loin dans la dénonciation totale du système contraignant libéral.

Ne plus obéir à la mode, aux règles de cohabitation, aux règles de vie.

Et mon premier geste symbolique fût d’enlever mes chaussures, dans la rue. Le soutien-gorge suivra, comme toutes les contraintes vestimentaires.

Ce geste me fit éprouver un sentiment miraculeux de liberté et en même temps d’appartenance à la terre. J’étais bien au sol, mais la tête s’ouvrait à des tas de pensées libératrices.

Quand je revins en Suisse, à Genève, en 1973, j’étais la première jeune femme qui se baladait pieds nus et en longue robe à fleurs.

Mais le mouvement viendra aussi. La Suisse a toujours un peu de retard.

Véra Tchérémissinoff, fille de immigrés russes – Avec ou sans chaussures, texte composé en atelier d’écriture

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